Accueil > Archives > 1997 (nº 1065 à 1104) > 1101 (20-26 nov. 1997) > [Régularisation de tous les sans-papiers]

Pour la libre circulation des personnes

Régularisation de tous les sans-papiers

Le jeudi 20 novembre 1997.

Le conflit des routiers a mis le doigt sur un paradoxe intéressant : les personnes qui exigent la libre circulation des marchandises (qu’ils s’appellent Jospin ou Madelin) sont les mêmes que celles qui voudraient fermer les frontières aux étrangers. Le nouveau gouvernement, avec le projet de loi Chevènement, continue à s’enfoncer dans la politique la plus absurde en matière d’immigration : la criminalisation et la fermeture des frontières.

Cette pensée bien entretenue depuis plus de 20 ans qu’il faut « maîtriser » (pour ne pas dire arrêter) les flux migratoires, entretient le mythe de l’invasion latente de la France et pose a priori l’étranger comme une menace. Force est de constater que cette politique est un échec total, à tout point de vue.

Tout d’abord, elle n’assure même pas le rôle de restriction qu’elle s’est fixée : si le nombre d’installations a statistiquement baissé, c’est que le nombre de sans-papiers a parallèlement augmenté. En effet, si des personnes veulent vraiment venir en France (en raison de la situation économique et/ou politique de leur pays) elles viendront, quel que soit le nombre de barrières. Entre partir ou mourir, le choix est vite fait. De plus, les étrangers qui auraient voulu seulement être de passage sont obligés de s’installer en France, faute de pouvoir y revenir s’ils partent. Ainsi, une personne venant en France juste pour quelques années, pour étudier ou pour travailler se voit contrainte de se sédentariser, voire de faire venir sa famille, si elle veut pouvoir la revoir, tant les possibilités de retour sont réduites.

Loin de ce que la « gauche » veut faire croire, le fait de pointer ainsi l’immigré (ou supposé comme tel) comme indésirable et comme source de tous les maux (chômage, insécurité,…) ne va pas dans le sens d’une meilleure « intégration », mais ajoute au racisme ambiant et le légitime. Les partis politiques essayant ainsi de ménager un électorat xénophobe et réactionnaire ne font que l’augmenter et le conforter dans ses idées.

Les immigrés « réguliers » sont soumis continuellement à la suspicion et doivent fournir toutes sortes de preuves (qu’ils sont menacés dans leurs pays,…) et de conditions (de ressources, de logement, d’amour,…) en toutes occasions. Ils sont victimes d’une discrimination officielle, en ce qui conceme les emplois dans la fonction publique, par exemple, et officieuse, par le racisme dont font globalement preuve les patrons à leur égard. La double peine est un autre exemple flagrant de discrimination : le simple fait d’être étranger implique une peine supplémentaire d’expulsion après avoir fait de la prison. Par exemple, dans les lycées professionnels, certaines entreprises proposant des stages indiquent qu’elles ne veulent pas de personnes étrangères, notamment maghrébines.

D’autre part, le fait même d’être sans-papier est un délit. En effet, il existe des prisons réservées à ce délit, pudiquement appelées centres de rétention. Ils ne peuvent pas non plus bénéficier de la Sécurité sociale. De toute façon, la présence de personnes sans droits est reconnue et « instituée » par les lois racistes passées et celles à venir. On se souvient en effet des parents d’enfants français, non expulsables et non régularisables. Mais encore dans la nouvelle loi, les personnes étrangères, conjointes de personnes « régulières » ou françaises, doivent attendre d’avoir « prouvé leur amour » (une année de vie commune) avant d’espérer pouvoir être régularisées. Mais surtout, la présence de clandestins est une bénédiction pour le patronat (surtout dans le BTP et la confection, entre autre), qui dispose alors d’une réserve de travailleurs corvéables à merci, non syndiqués et à bas salaire. Pour reprendre une expression appropriée, c’est la « délocalisation à domicile » [1].

Le problème, ce n’est donc pas l’immigration, mais la fermeture des frontières.

Cette façon de désigner l’immigré comme bouc-émissaire n’est pas uniquement électoraliste, elle permet aussi de masquer les vrais responsables de la misère que sont les capitalistes et leurs larbins. En effet, de quelle immigration veulent-ils se méfier ? Certainement pas celle des touristes américains, des étudiants allemands, des hommes d’affaires russes, des cadres japonais ou des rois du pétrole du Maghreb.

Parce qu’il est humainement impensable de vouloir tenir des gens dans la précarité, sans protection sociale, sans moyen de défense face à un employeur et qu’il faut « réparer » les dégâts des législations précédentes, parce que la politique de fermeture favorise les idées racistes, parce que la liberté de circulation pose le problème de la répartition des richesses à l’échelle nationale et internationale, les seules réponses possibles dans ce débat, et surtout dans les luttes en cours sur le sujet sont : régularisation de tous les sans-papiers et libre circulation des individus.

C’est pourquoi il nous faut lutter au côté des sans-papiers pour qu’ils sortent de leur situation précaire. Aujourd’hui comme hier, plusieurs formes de lutte existent. Les collectifs de solidarité avec les sans-papiers mènent différentes formes d’action complémentaires : aide administrative, mise en place de rapport de force avec les préfectures et les mairies. De plus, une campagne contre les centres de rétention vient d’être lancée par la Coordination nationale des sans-papiers. Aujourd’hui comme hier, même si la solidarité exige l’illégalité, nous serons solidaires.

Marc et Stéphanie
groupe de Montpellier


[1Monde diplomatique de novembre 1997.