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Agression gouvernementale contre les Forces Libres de la Paix

Maurice Laisant condamné

février 1955.

La guerre d’Indochine a pris fin. L’indignation des populations, l’écœurement soulevé par le trafic des piastres, l’effroyable hémorragie d’hommes qui coulait dans les rizières a obligé la nouvelle équipe gouvernementale à mettre fin à ce scandale. Mais si les militaires, les politiciens véreux, les agioteurs de toutes sortes ont été obligés de lâcher ce morceau de chair sur lequel ils grouillaient sans pudeur, ils n’ont pas abandonné l’espoir de régler leur compte à tous ceux qui par leur action incessante ont contribué à réveiller une opinion publique qui les a contraints à céder.

Les Forces Libres de la Paix sont poursuivies et notre camarade Maurice Laisant, le dynamique secrétaire à la propagande de cette organisation, un des membres du comité de rédaction de notre journal, comparaît devant la 17e Chambre correctionnelle.

L’arrivée de Maurice Laisant, entouré de nombreux amis venus lui apporter le témoignage de leur sympathie, remplit le prétoire.

Que reproche-t-on à Laisant ?

1) D’avoir placardé une affiche virulente exigeant la cessation des hostilités en Indochine, sur laquelle le nom de l’éditeur n’était pas indiqué ;

2) D’avoir imprimé cette affiche sur de papier blanc ;

3) D’avoir donné à cette affiche de la paix, à cette affiche de la justice (la vraie), à cette affiche de la fraternité l’aspect de l’autre… de celle qui est dans toutes les mémoires… de l’affiche du sang, de l’affiche de la honte, de l’affiche de la « Mobilisation générale » que surplombent les drapeaux croisés à l’ombre desquels se parque le bétail promis aux abattoirs.

Inscrire « Mobilisation générale » en noir sur blanc, pour inviter les hommes à faire cesser la plus odieuse des guerres, il n’en faut pas davantage pour vous obliger à une promiscuité avilissante avec le personnel qui régit dame Justice surtout si, suivant la déclaration de l’ineffable commissaire de police d’Asnières, « cette affiche a provoqué une certaine émotion parmi les passants, surpris de l’en-tête et de sa présentation qui provoque la confusion incontestablement recherchée avec une affiche administrative ».

Le président donne la parole à l’accusé qui, très à l’aise, se reconnaît l’auteur du délit. Il ne semble pas que la « majesté des lieux » ait altéré la sérénité de notre ami.

Puis on appelle les témoins. De la foule d’amis qui l’entoure, une haute et mince silhouette se dresse ! Albert Camus gagne la barre. Un souffle d’air frais va enrober les chats fourrés confits dans leur certitude.

« j’ai connu Laisant, dit Camus, dans un meeting où nous réclamions ensemble la libération d’hommes condamnés à mort dans un pays voisin. Depuis, je l’ai parfois revu et j’ai pu admirer sa volonté de lutter contre le fléau qui menace le genre humain. Il me semble impossible que l’on puisse condamner un homme dont l’action s’identifie si complètement avec l’intérêt de tous les autres hommes. Trop rares sont ceux qui se lèvent contre un danger chaque jour plus terrible pour l’humanité. »

L’écrivain simplement reprend sa place parmi le public ami composé de militants ouvriers qui se pressent affectueusement autour de lui.

M. Savary, vice-président des Forces libres de la Paix, à son tour s’avance à la barre. Il fait l’historique de son mouvement “qui a pour objet d’œuvrer en faveur de la paix par tous les moyens ne comportant pas d’engagement inconditionnel envers un parti politique ou une nation”.

Enfin, notre ami Jean Gauchon, le défenseur des objecteurs de conscience, l’avocat des organisations pacifistes, l’adversaire de l’arbitraire des tribunaux militaires qu’il traque dans le pays, se lève.

« L’affaire est politique, proclame-t-il. On a voulu à tout prix poursuivre, bien que la guerre d’Indochine soit terminée depuis de nombreux mois. On cherche de misérables querelles. En réalité, c’est le mouvement pacifique que l’on veut atteindre. »

Il lit une note épinglée au dossier, émanant du ministère de la Guerre, et qui démontre l’acharnement de celui-ci.

« Une information judiciaire a été ouverte contre les responsables d’une affiche apposée en juin 1954 sur les murs d’Amiens. J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir me tenir informé, sous la présence du timbre, du déroulement de la procédure suivie par cette affaire. » Note à laquelle, ajoute M. Gauchon, on a inscrit à l’encre : « Aviser le ministère de la Guerre du renvoi de l’affaire en correctionnelle » ce qui, ajoute-t-il, en dit long sur l’ « indépendance de la Justice » [1].

On voulait poursuivre, ajoute l’avocat. On a trouvé un prétexte aujourd’hui tombé en désuétude. Et, au grand amusement du public, il exhibe une affiche sur fond blanc, sans adresse d’imprimeur et annonçant une fête placée sous le patronage de M. René Coty. Une affiche contre laquelle on pourrait procéder ! Allez-vous poursuivre le Président de la République ? interroge-t-il ironiquement. Il demande l’acquittement.

Malgré ses efforts, Maurice Laisant est condamné. Les Forces libres de la Paix devront payer une lourde amende.

Les ganaches qui occupent le devant de la scène au Théâtre Bourbon peuvent bien se réclamer de la paix. Les dessous d’un procès comme celui des Forces libres nous montrent leur vrai visage.

C’est une leçon que les hommes qui croient encore à leurs grimaces feraient bien de méditer.

Maurice Joyeux


[1Nous nous refusons de prendre à notre compte le français des services du ministère de la Guerre.