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Transports gratuits

vite…
Le jeudi 16 septembre 2004.

Grâce à l’action des collectifs de chômeurs et de chômeuses et de leurs soutiens, la région Ile-de-France devrait emboîter le pas d’autres régions (notamment Provence-Alpes-Côte-d’Azur ou Midi-Pyrénées) en mettant en place la gratuité des transports collectifs pour les précaires, du moins dans leurs définitions administratives (chômeurs indemnisés, RMIstes, titulaires de l’ASS, de la CMUC, personnes âgées sous conditions de ressources, jeunes en insertion et personnes en grandes difficultés financières [sic]). Même s’il faut encore pousser au cul nos édiles, une délibération de la Région a été prise le 9 juin 2004 et la machine administrative s’ébroue. On s’en réjouira pour celles/ceux qui pourront voyager sans le stress de l’amende ou bien utiliser leur peu de ressources à d’autres nécessités. Cela ne fera jamais que sept ans depuis le mouvement des chômeur.euse.s de 1997-1998 qui avait ravivé la revendication de la gratuité des transports. Mais au sein de ce mouvement, des organisations anarchistes et libertaires ont développé une autre revendication : la gratuité pour tou.tes, comme seul point de mire cohérent.

La gratuité pour tou.te.s s’impose

Pour la notion de services publics tout d’abord. Leur principe est de garantir l’accès égalitaire des membres d’une société aux biens et services qu’ils jugent essentiels ou simplement utiles (selon le degré de socialisation). Quelle mesure, si ce n’est la gratuité pour l’usager.ère, permet mieux de garantir un accès libre et égalitaire ?

Économiquement ensuite. Le coût des transports payants (arsenal matériel et humain pour la billetterie et le contrôle) engloutit l’essentiel des ressources financières tirées du billet, mobilise des agents pour des tâches improductives en termes de services et de solidarité, et incitent à penser les lieux de transport comme des espaces de profits (cf. la pub et la commercialisation à outrance des emprises de transport). Les transports gratuits, outre qu’ils ne coûteraient donc pas beaucoup plus cher à la collectivité que les transports payants, inciteraient à utiliser les ressources sociales à la satisfaction des vrais besoins et non à la marchandisation des transports et de leurs espaces.

Ou encore, contre la répression « sécuritaire ». Les transports payants servent à justifier une multitude de polices dans ces espaces publics : police des étrangers, police des chômeurs, police des jeunes, police des sans-abris, vidéo-surveillance généralisée, etc., renforçant toujours davantage la criminalisation de la misère et de la précarité, et l’apartheid social. Les transports gratuits ouvriraient en revanche un champ de liberté, d’égalité et de solidarité (ça irait bien avec la République, non ?).

Écologiquement encore. Les transports gratuits favorisent le transfert massif de la voiture vers les transports en commun, moins énergivores et moins polluants à l’échelle collective, avec des implications nettes en matière d’environnement et/ou de santé publique (congestion des centres-villes et pollutions associées) ou d’aménagement urbain (c’est à la ville qu’il faut aussi repenser en fonction de l’usage régulier et intensif des transports en commun). Les transports collectifs gratuits sont clairement un instrument à construire la « Décroissance » (1).

Contre la valeur travail enfin. Les transports gratuits limités aux seuls « assistés » (selon la définition de nos tyrans), entretiennent la séparation entre ceux qui ont un « travail » et ceux qui n’en ont pas. Elle fait donc perdurer la valeur travail comme seul gage d’intégration sociale (sauf pour ceux qui exploitent du travail des autres… !), alors que les critiques du travail ne manquent pas et font aussi leur chemin (2).

La gratuité existe déjà…

Certaines de ces vertus de la gratuité pour tou.te.s peuvent d’ailleurs être constatées depuis un à deux ans maintenant, à Châteauroux ou Argenton-sur-Creuse (Indre), à Vitré (Ille-et- Vilaine), à Hasselt ou Mons (Belgique). Certes, il ne s’agit pas encore de transports autogérés, qui sont le véritable objectif, mais il y a au moins là des conditions concrètes propres à asseoir nos revendications.

Incidemment, on remarque que ces expériences de gratuité pour tou.te.s ont vu le jour dans des petites agglomérations, c’est-à-dire là où un certain sens du commun est malgré tout encore possible, sans la médiation — et la médiatisation — forcée des « élu-crates » (lire l’article de l’Humanité du 5 août 2003 sur l’expérience de la Communauté de Commune du Pays d’Argenton-sur-Creuse). Cela n’étonne pas les anarchistes et libertaires qui savent de réflexion et d’expérience que la vie se conquiert et s’organise depuis la base, et qui ont su faire la critique des concentrations urbaines au seul bénéfice de l’accumulation des profits capitalistes (la Commune de Paris, il y a 134 ans, ne proposait-elle pas, aussi, le développement libre et équilibré des communes, réunies en fédération, à l’opposé du développement autocentrique de Paris dans la vision hiérarchique et autoritaire de la France qui a malheureusement prévalu ?). Ce constat nous invite donc à réfléchir sur le champ pertinent de lutte pour cette revendication. Certes, il nous faut nous battre partout, et la région Ile-de-France est exemplaire des contradictions du régime capitaliste des transports payants. Mais, dans le droit fil de nos réflexions et actions pour une société de décroissance, le développement de la gratuité des transports depuis les petites agglomérations, peut aussi s’inscrire dans un projet d’aménagement de l’espace plus harmonieux, avec une empreinte écologique moindre. Alors, compagnes et compagnons, saisissez-vous de cette revendication, y compris dans les petites agglomérations ; il y a certainement du travail à faire, et des avancées à engranger.

Une revendication de rupture

Gratuité pour certains précaires dans les Régions, expérimentations de la gratuité pour tou.te.s dans diverses communes : quel que soit l’environnement, urbain, rural ou « rurbain », on sent bien que les contradictions du système s’expriment aujourd’hui, dans les transports collectifs, par l’émergence de la gratuité, qui n’est plus reléguée au magasin des loufoqueries. Foi de pessimiste, nous sommes peut-être plus proche que nous le pensons de pouvoir reconquérir des espaces de liberté et de solidarité et reprendre pied sur le terrain des services publics, malgré la casse systématique dont ils font l’objet depuis 20 ans.

Dans cette perspective, et s’agissant pour nous d’un instrument de rupture avec la logique capitaliste, on voit bien que la gratuité des transports ne peut être partielle, sauf à accentuer les contradictions du système : poids démesuré de la billetterie et de son contrôle pour des recettes moindres, catégorisation accrue des individus et motifs supplémentaires de contrôle social répressif, bénéfices écologiques minimes (car ce ne sont pas les précaires qui engorgent les villes avec leur grosses automobiles… !), etc. La gratuité pour certains précaires est évidemment une bonne chose au plan individuel pour ceux qui seront concernés, mais ce serait un piège au plan collectif si nous nous en contentions. Il faut donc s’en servir comme d’un coin parmi d’autres pour revendiquer et obtenir la gratuité pour tou.te.s.

Une semaine pour agir

La semaine des transports publics du GART (Groupement des Autorités Responsables de Transport) qui se déroule comme chaque année dans toute la France, autour de la mascarade de la « journée sans ma voiture », le 22 septembre. Ainsi en Ile-de-France, le collectif le RATP (Réseau pour l’Abolition des Transports Payants) organise-t-il en parallèle la semaine pour la gratuité des transports, avec actions et débats du 21 au 26 septembre (reportez-vous à l’agenda pour le programme des actions).

C’est maintenant plus que jamais qu’il faut pousser pour des transports gratuits et autogérés. Alors, compagnes et compagnons motivés, profitez vous aussi de cette semaine des transports pour organiser dans vos agglomérations des actions ou débats, créer ou recréer les nombreux collectifs qui avaient vu le jour à la fin du xxe siècle (1998-1999 !). Il aura fallu plus de 7 ans pour que la gratuité commence à se concrétiser pour les chômeurs. Mais pour nous anarchistes et libertaires, c’est la gratuité pour tou.te.s que nous revendiquons, et nous ne devons pas attendre plus.

Dr Martius, milite au groupe Louise-Michel de la FA et au collectif RATP


1. À lire sur le sujet la brochure de J.-P. Tertrais Du Développement à la Décroissance, pour sortir de l’impasse suicidaire du capitalisme, Éditions du Monde libertaire, 2004.

2. À lire sur le sujet la brochure Réflexions croisées sur le travail, Éditions du Monde libertaire, 2002.

Pour réfléchir :

 Brochure Textes sur la gratuité du Collectif Fraude de mieux, (éditions REFLEX, 2000) ;

 Brochure Zéro euro zéro fraude, transports gratuits pour toutes et tous (éditions du Monde libertaire — Alternative libertaire, 2002) ;

 Article « Retour sur les transports gratuits et autogérés » (Monde libertaire nº 1350 — du 4 au 10 mars 2004) ;

 Brochure Déplacements sous contrôle — manuel juridique de l’arsenal répressif dans les transports du collectif RATP, 2004 ;

 4 pages irrégulier Lignes Gratuites du collectif RATP.

Pour agir (en Ile-de-France) :

Collectif RATP (Réseau pour l’Abolition des Transports Payants), 145, rue Amelot, 75011 Paris. Contact : , http://ratp.samizdat.net