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Convention républicaine à New York

La Violence invisible

Le jeudi 16 septembre 2004.

La Convention républicaine qui s’est tenue à New York à la fin du mois d’août et au début du mois de septembre a provoqué une vaste mobilisation de contestation. Des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues lors de défilés et lors d’actions décentralisées (théâtre de rue, déroulement de banderoles, etc.). Une fois de plus, les États-Unis se sont révélés être un lieu de militantisme dynamique, inventif et radical. Toutefois, il n’y a pas eu au cours de ces journées d’actions de Black Blocs, ni de vitrines de McDonald’s ou de banques fracassées. Donc pas de « violence » pour les médias officiels publics ou privés, qui ont peu couvert ces manifestations.

Étonnant, toutefois, de constater que les médias officiels n’aient accordé presque pas d’attention à une autre violence : l’arrestation de 1821 manifestants (selon la police [source : New York Times, 4-09]). C’est presque quatre fois plus que lors des manifestations contre l’OMC à Seattle en 1999, ou contre le Sommet des Amériques à Québec en avril 2001. N’y avait-il pas là matière à couverture médiatique, à éditoriaux enflammés ? Il semble que la violence des policiers soit invisible aux yeux des médias officiels. Tout autant que la campagne de désinformation et de peur, orchestrée par les policiers et relayée par les médias. Quelques semaines avant la Convention, un quotidien new-yorkais laissait savoir en première page que les policiers craignaient que des « anarchistes » préparent des « bombes ». Rien de mieux pour justifier un vaste déploiement « sécuritaire ». Le 26 août, le journal New York Daily News titrait en « une » : « Police Intelligence Warning : Anarchy Inc. » (« Avertissement des renseignements de la police : Anarchie inc. »). L’article mentionnait l’arrivée éminente de dangereux militants anarchistes, dont « Jaggi Singh, un citoyen canadien […] qui aurait catapulté des ours en peluche imbibés d’essence contre les policiers lors des manifestations contre le G20 en 2001 à Québec, selon le rapport de la police de New York ». Le même article du quotidien de New York laissait savoir — de façon farfelue — que Jaggi Singh aurait été « vu tirant à l’arme de poing, et aurait reçu un entraînement aux armes à feu » par un ancien membre des Black Panthers, toujours selon la police. Dix jours avant (le 16 août), le New York Post avait publié une photo non datée d’un individu à la peau sombre tirant d’une arme à feu, identifié à tort comme Jaggi Singh, accompagnée par la légende « Voilà le trouble ». Pour l’histoire, les journaux américains ont tout faux, à ceci près : Jaggi Singh est bel et bien un anarchiste de Montréal, sans doute l’un des plus dynamiques et surtout le plus célèbre, car il a été identifié à plusieurs occasion par les policiers comme le « chef » et arrêté à de très nombreuses reprises avant ou pendant des manifestations qu’il avait aidé à organiser. Quant à la fameuse catapulte, elle a été utilisée lors des manifestations contre le Sommet des Amériques, et non contre le G20 ; les ours en peluche n’étaient pas imbibés d’essence ; le juge et les policiers ont conclu que Jaggi Singh n’avait rien à voir avec cette « arme » ; Jaggi Singh a bien été arrêté lors d’une manifestation contre le G20, mais elle se déroulait à Montréal à l’automne 2000 et il a été innocenté lors du procès, ainsi que ses deux coaccusés ; la couronne a laissé tomber les accusations en janvier 2004 quant à son arrestation au Sommet des Amériques (il avait pourtant été détenu 17 jours, ce qui est long pour un innocent).

Amalgames, mensonges, désinformation. Qui sème la peur, qui terrorise ? Et qui utilise la violence ? Imaginons un monde hypothétique où des manifestants s’empareraient de 1821 membres de la convention républicaine, les menotteraient pendant plusieurs heures puis les détiendraient dans des cachots pendant des jours. Les médias officiels seraient horrifiés. Ces médias se taisent et ferment les yeux quand dans le monde réel ce sont des policiers qui arrêtent par centaines des manifestants qui n’ont rien cassé, ni blessé personne. Les témoignages concordent au sujet d’arrestations des plus arbitraires : celui-là jouait de la guitare sur le trottoir : arrêté ; ceux-là déroulaient une banderole dans la rue : arrêtés ; ceux-là manifestaient en vélo : arrêtés ; ceux-là se rassemblaient pour délibérer au sujet des prochaines manifestations : arrêtés. Et ces manifestants non-violents ont été détenus sans accusation plus de 24 heures, ce qu’à dénoncé la Guilde nationale des avocats.

Les médias officiels aiment diffuser l’idée selon laquelle le recours à la « violence » terni l’image publique des manifestants. À considérer la ligne éditoriale de ces mêmes médias, il semble pourtant que c’est presque la seule façon pour les manifestants d’avoir une image publique… Et contrairement à ce que laissent si souvent entendre les médias officiels, ce n’est pas parce que les manifestants sont violents que les policiers les arrêtent en masse. En conséquence, il semble peu surprenant que certains manifestants en viennent à la conclusion que se munir de casques et de boucliers de fortune, et s’armer de bâtons et de pierres, est un meilleur moyen d’éviter l’arrestation que de jouer de la guitare… Qui est violent ? Qui encourage le recours à la violence ?

Francis Dupuis-Déry