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Voleurs !

Le vendredi 23 septembre 2005.

F. qui travaille dans un bar anar, planqué dans une rue au nom de saint (pour brouiller les pistes ?) dans le XIe arrondissement de Paris, me dit un soir de juillet : « Ta Fred Vargas, c’est du sirop d’orgeat, rapport à ce qu’est le polar violent, déjanté et amoral américain. Si les amerloques (je transcrits de mémoire, ont apporté quelque chose de bon à la littérature, c’est bien le constat de leurs échecs ». Elle me dit encore : « Lis plutôt ça mon petit coco, ça tient des blues brothers, sans le côté sacro sainte mission, avec autant de bêtise et plus d’animalité, tu m’en diras des nouvelles. ».

C’est fait. J’ai dévoré, avec un sentiment mêlé de voyeurisme, de dégoût, relevé par la soif malsaine des grandes épopées perdues. De celles où l’on finit par prendre une carte du Texas, pour suivre quelques héros alcoolos paumés et disjonctés sur les speedways traversant des paysages primaires, sous 40 degrés centigrades, à l’embouchure de fleuves condamnés, rejets des magouilles industrielles pétrolifères, où survivent encore de rares alligators et ragondins protégés, seuls témoins des crimes crapuleux perpétrés dans la région. Justement, deux crapules, Eddy et Ray Bob, sont en cavale récurrente et concentrée. Bien armés, ils vont de braquages de clopes et alcools (le point sublime est le braquage du drugstore où l’un des gus, en bon minable, braque la caisse en laissant l’appoint de monnaie, avant de zigouiller pour rien le pauvre jeune tenancier mexicain) jusqu’à l’aboutissement de la connerie sexuelle non consentie qui tourne vite au viol minable et sordide. Mais hélas, roman noir oblige, leur histoire ne s’arrête pas là. Elle continue un soir de cavale. Ils croisent par hasard Della, une autre paumée, esthéticienne et fausse mannequin, racoleuse de bars à commerciaux de passage. Son histoire a mal tourné. Elle ne pense plus qu’à fuir en pleine nuit. Ils la ramassent sur l’entrée de l’autoroute, sa trop belle chevelure blonde détrempée par l’orage, protégée par des lunettes noires cachant un énorme coquart. La femme s’installe dans la voiture, son silence sent les emmerdes. Juste le temps de confier ses deux lardons à sa vieille mère neurasthénique, avant de prendre la vraie tangente. Ça tombe bien : entre fuyards, on ne pose pas de questions, fuir les flics ça rassemble son monde. Les flics, parlons-en, ils ne valent pas mieux, dans le genre « rayon des invendus ». Ils s’engluent magistralement has been et paumés, dans les mêmes vapeurs de bourbon texan. Curriculum pourri et cinquantaine bancale. Devoir de vengeance avec port d’arme légal.

Ce polar (le premier et seul de l’auteur à ce jour) aligne un certain nombre d’abrutis, dont quelques rescapés qui n’ont pas fait le Vietnam, quelques hippies vieillissants et autres interférents, dignes de figurer au générique de délivrance. Et au final, quel message ? Sans livrer la quintessence de ce roman noir, la confusion rassemble tout ce petit monde pour que personne ne gagne : ni le bien, ni le mal, pour une fois totalement amoral. C’est le rien qui triomphe dans ce bout d’Amérique, frétillante de brutalités où se cachent encore parfois un peu de poésie, entre un air de guitare et une bouffée d’herbe, de nouvelles horreurs. Connerie des hommes, fantasmes jamais assouvis, no future et questions qui appellent des réponses toutes plus amorales les unes que les autres. F. m’avait prévenu : il n’y a rien à tirer de ce polar. Il faut dire qu’en juillet dernier, Fred Vargas n’avait pas encore pris sous son aile protectrice Cesare Battisti. Son prochain polar sera-t-il plus amoral ? Comprend qui veut, ou comprend qui peut !

Patrick Schindler, Groupe Claaaaaash


Christopher Cook, Voleurs, Éditions Rivages noirs, 10 euros, disponible à la librairie du Monde libertaire.