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Argentine

Zanon debout

une expérience d’autogestion
Le jeudi 30 septembre 2004.

Zanon, un nom connu internationalement depuis que les ouvriers de cette fabrique de céramique, après son abandon par le patron, l’aient récupérée et aient relancé la production. Sa formidable réussite constitue un exemple à suivre pour les millions de chômeurs et de travailleurs qui subissent les ravages d’une économie où le profit et l’exploitation détruisent les individu.e.s.

Depuis trois ans, cinq expulsions de la fabrique ont été mises en échec par la détermination des ouvriers (« nous nous battrons jusqu’aux dernières conséquences ») et le soutien de la population de Neuquén. Ce n’est pas un hasard si le propriétaire Zanon est un grand ami de l’ex-président Carlos Menem [1] et que le gouverneur de la province de Neuquén, Sobitch, soit ménémiste. On peut estimer que cette offensive est comme celle de la mafia économico-politique argentine dont l’objectif est d’en finir avec la mauvaise habitude des travailleurs argentins de se croire les maîtres des entreprises dans lesquelles ils travaillent. Une expulsion de Zanon, outre qu’elle engendrerait une répression terrible, ouvrirait la porte à l’expulsion de toutes les entreprises récupérées (surtout que l’on entre dans une période où le délai d’expropriation temporaire de deux ans expire pour bon nombre d’entre elles). Les travailleurs de Zanon impulsent des mobilisations, non seulement dans leur province, mais aussi à Buenos Aires où le 14 septembre, une manifestation des entreprises récupérées et des organisations de chômeurs s’est rendue au Parlement pour exiger une loi nationale d’expropriation définitive.

Francisco Morillas est membre de la Comisión Interna de Zanon et coordinateur de la production. Il nous raconte comment se sont déroulés la récupération de la fabrique, les progrès de la production et les créations de poste.



Nous avons été licenciés le premier octobre 2002. Ce jour-là, à notre arrivée à six heures du matin, nous avons trouvé l’équipe de nuit à la porte de la fabrique. Ils nous ont raconté qu’ils avaient tous été mis à la porte et que la fabrique était fermée. Nous avons décidé de tous rester avec l’espoir que la fabrique rouvre ses portes et ainsi continuer à travailler. Lors d’une grande assemblée, nous avons décidé de monter des tentes et de rester là. Nous étions 331 travailleurs, ouvriers ; des camarades, pour diverses raisons, ne voulurent pas participer à la lutte et s’en allèrent. Nous restions plus de 260 travailleurs et nous décidâmes de nous battre jusqu’au bout parce que nous ne voulions pas finir par rejoindre la file des millions de chômeurs du pays ; nous ne voulions pas 150 pesos [2] mais le poste de travail. Les patrons ont dit qu’ils fermaient la fabrique parce qu’elle n’était pas rentable. Nous savions que ce n’était pas vrai et nous sommes restés pour cette raison.

En mars 2002, nous avons décidé, lors d’une assemblée, de rentrer dans la fabrique et de la mettre en marche, nous avons pu allumer un four et démarrer une ligne de production. Ce mois-là, nous avons produit 10 000 mètres cube de céramique. Lors d’une assemblée, nous avons fixé le salaire que nous allions nous attribuer et nous avons décidé qu’il devait être de 800 pesos. Il y avait 130 camarades qui gagnaient 530 pesos et d’autres qui gagnaient entre 1 000 et 1 200 pesos. Mais l’accord fut de fixer des salaires égaux pour tous.

En septembre 2002, nous sommes passés à une production de 60 000 m3 et avons généré les 20 premiers postes de travail supplémentaires que nous avons offerts aux diverses organisations de chômeurs de Neuquen. En février 2003, 120 000 m3 de production et 30 nouveaux postes pour les différents mouvements. En juillet 2003, 160 000 m3 et 30 autres postes de travail qui furent octroyés à ceux qui avaient des qualifications dont nous avions besoin : mécaniciens, électriciens et autres. En décembre 2003, nous avons atteint 200 000 m3 de production et créé 20 nouveaux postes de travail que nous avons offerts aux organisations indigènes mapuches, aux organisations des handicapés et aux ex-travailleurs de Cablevision du Comahue qui avaient mené eux aussi une très grande lutte. Beaucoup d’entre eux sont restés dans la rue et maintenant ils font partie des travailleurs de Zanon. En mars 2004, après avoir atteint 250 000 m3, nous avons créé 40 nouveaux postes de travail et les avons donnés aux ex-travailleurs de Zanon qui étaient partis au début de la lutte. En juin de cette année, nous sommes arrivés à une production de 310 000 m3 et avons créé 30 postes de travail répartis entre fils et frères d’ex-travailleurs de la fabrique. Nous prévoyons pour le mois de septembre une production de 380 000 m3 de céramique.

Nous avons réalisé tout cela sans aucun type de subvention de qui que ce soit. Aujourd’hui, nous payons 130 000 pesos d’électricité, 140 000 pesos de gaz pour les fours. Les patrons de Zanon recevaient eux 60 % de subventions pour ces charges. Nous, nous n’avons même pas un centime. […]

Depuis un moment, nous avons décidé que les 250 camarades qui étaient restés au début du conflit toucheraient 200 pesos par mois d’ancienneté. Avec la production des 380 000 m3 de septembre, nous voulons voir si nous pouvons unifier les salaires des camarades qui gagnent 800 pesos avec ceux qui gagnent 1 000 pesos, en raison de l’ancienneté. Il y a quelques mois, nous avons aussi décidé que la gestion ouvrière allait payer le transport des 400 travailleurs de Zanon.

Ce résultat nous a beaucoup coûté, nous l’avons obtenu avec le soutien des différentes organisations de chômeurs, de partis de gauche et avec la société de Neuquén, qui a compris quel était le problème des travailleurs de Zanon, et qui a dit à la Justice et au Gouvernement provincial : ne touchez pas aux travailleurs de Zanon ! Et ils ne nous ont pas touchés.

Aujourd’hui, nous sommes menacés d’expulsion comme nous l’avons été plusieurs fois et nous voyons que c’est la dernière ligne droite. La « proposition » du Gouvernement provincial est que nous, les travailleurs de Zanon, fabriquions des maisons préfabriquées et que nous les installions dans les différentes occupations de terrains. Nous avons répondu que nous étions d’accord avec le projet qu’offre le gouvernement, mais pour les camarades au chômage. Nous, les travailleurs de Zanon, avons un travail, nous faisons des sols et des revêtements que nous pouvons fournir aux maisons en question. Ce projet doit être pour les camarades qui n’ont pas de travail, qui aujourd’hui touchent un « plan » [3] de 150 pesos et pour d’autres qui ne touchent rien.

La proposition de Sobisch est une forme d’expulsion dissimulée. S’ils viennent nous expulser, nous allons nous défendre jusqu’aux dernières conséquences parce que nous, les travailleurs, croyons être les seuls qui puissions nous garantir le salaire. De plus, nous avons créé 170 postes de travail, ce qui n’est pas rien dans la situation du pays.

Francisco Morillas


Ce texte est extrait de Nuestra Lucha, journal argentin, du 30 août 2004. La traduction a été assurée par Fab17@no-log.org.
Contact : www.nuestralucha.org et <nuestra_lucha> .


[1Président de l’Argentine de 1989 à 1999 (NDLR).

[21 euro équivaut à 3,64 pesos (NDLR).

[3Planes trabajar o jefes y jefas : « contrats » de 20 heures par semaine payés 150 pesos (300 francs) par mois utilisés par les collectivités publiques. Ils furent obtenus grâce à la lutte des piqueteros (chômeurs qui coupent les routes). Les mouvements de piqueteros ont également obtenus la gestion directe d’une partie de ces plans, les bénéficiaires travaillent donc « au service » des mouvements, ce qui d’ailleurs posent quelques problèmes de « clientélisme », surtout dans les mouvements de chômeurs des partis d’extrême gauche (NDLR).