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Françoise Sagan a rejoint « Les merveilleux nuages »

Le jeudi 30 septembre 2004.

Elle n’avait pas la gravité de Simone de Beauvoir. Elle se prenait beaucoup moins au sérieux.

Casinos, voitures de sport conduites à 160 km/h, amours plurielles, le scandale résida aussi dans ce luxe, cette frivolité, cette vie de plaisirs faciles qu’elle assuma jusqu’au bout, jusqu’aux accidents, jusqu’à la fraude fiscale, jusqu’aux voyages sombres de l’alcool et de la drogue.

Il y eut chez Françoise Sagan le goût immodéré du jeu : pas seulement sur les tapis verts, mais le jeu de l’amour et du hasard, le jeu avec la chance, c’est-à-dire avec le destin, avec la vie et la mort, le jeu avec l’argent qu’elle gagna, qu’elle perdit, qui lui filait entre les doigts d’une manière très peu conforme aux valeurs de la classe bourgeoise à laquelle elle appartenait.

Elle mena une vie que traditionnellement on accordait aux hommes, et, après elle, on fut bien obligé de féminiser le mot « flambeur ». Flambeuse donc. Mais aussi et surtout écrivaine.

La force de son premier roman Bonjour Tristesse, écrit à 19 ans, fut de raconter dès 1954 l’histoire d’une jeune femme qui assume son plaisir sexuel et son immoralité sans aucune culpabilité. Vingt ans plus tard, on votait la loi sur la contraception et l’interruption volontaire de grossesse.

On rangea ses « petits » romans du côté des kiosques de gare. Sagan n’eut jamais la prétention de vouloir rentrer à l’Académie… Et le regard que la critique porta sur son œuvre est embrumé par le machisme des intellectuels qu’elle fréquenta sans jamais être reconnue comme telle.

Il y a pourtant chez elle cet amour sincère des mots, de la littérature, le souci de dire, de trouver l’intonation juste, un style remarquable qui évoque avec légèreté les choses graves : l’amour, la liberté, la solitude. Et cette lucidité qui fait défaut à bon nombre de ses collègues littérateurs : « Moi, je sais à quoi m’en tenir sur mes petits romans. Je n’ai pas à en avoir honte, ce n’est pas de la mauvaise littérature, c’est du travail honnête. Mais je sais lire. J’ai lu Proust, j’ai lu Stendhal… Des gens comme ça, ça vous rabat le caquet. »

Françoise Sagan avait le souci de l’élégance davantage que celui de la morale. Elle fuyait l’emphase, la lourdeur, le conformisme. L’atmosphère de ses livres reflète souvent une mélancolie légère et bienveillante où la dérision de soi combat toutes les ironies du sort.

Loin des milieux féministes militants, elle fut pourtant parmi les 343 femmes qui, en 1971, déclarèrent publiquement avoir avorté et prit clairement position contre la guerre d’Algérie.

Sa vie et son œuvre attestent de sa volonté de n’être enfermée ni possédée par personne et elle fait partie de celles qui, au XXe siècle, surent s’affranchir du carcan dans lequel on tente toujours de retenir les femmes.

Au jour de sa disparition, cette liberté assumée vaut qu’on la salue.

Yolaine Guignat