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Perrier, la potion est amère

Le jeudi 7 octobre 2004.

Dans un contexte chargé de nouvelles remises en cause des droits sociaux, de grosses unités du secteur industriel sont dans l’œil du cyclone capitaliste. Délocalisations, chantage sur les 35 heures, augmentations du temps de travail sans contre-partie, grignotages des conventions collectives ; des salariés de grosses entreprises subissent une nouvelle vague d’attaques antisociales. Dans le Gard, Perrier, fondée en 1903, est un des plus gros employeurs du département et défraye la chronique.

Perrier fait partie du groupe Nestlé Waters France. La fabrique gardoise de cette eau gazeuse a été achetée en 1992 par la multinationale suisse Nestlé, numéro un mondial de l’eau en bouteille. En douze ans, les effectifs de la Source Perrier passent de 2 400 à 1 650 salariés alors que la production augmente.

Attaque frontale

En janvier 2004, la direction de Nestlé Waters France annonce un plan qui prévoit le départ en préretraite des salariés de 55 ans et plus d’ici avril 2007, sans compensation d’embauches. Ce plan toucherait 1 047 salariés en France (sur 4 100 salariés) dont 356 chez Perrier (sur 1 650 personnes). Naturellement, chez les Perrier, où la CGT est majoritaire (83 % des suffrages aux élections professionnelles) parmi des salariés fortement syndiqués, le refus est net. En mars, la direction évoque une cession de Perrier. Au fil du temps, la CFDT et la CGC, deux des cinq syndicats représentés sur le site industriel, mais minoritaires, signent le plan de la direction. Deux mois de grève tournante sont organisés au printemps : manifestations, déclarations des élus locaux. La pression s’organise contre une direction intransigeante mais qui peaufine sa stratégie. Le 23 juillet, la CGT et FO usent alors d’un droit de veto que la loi Fillon votée en mai 2004 leur permet. Il s’agit d’un volet permettant à un syndicat majoritaire de refuser un plan social. La direction confirme alors son intention de vendre Perrier à des concurrents ou à des fonds de pension, de filialiser les quatre sites du groupe (avec Quézac et Vittel Contrex) afin d’atteindre une flexibilité et une productivité en ligne avec la concurrence. Il y a aussi une stratégie antisyndicale puisque les conflits découlant de ces restructurations seraient localisés aux seuls sites concernés. Par une habile communication, la direction retourne la situation à son avantage. En restant ferme dans ses projets et en dénonçant la CGT qui empêcherait la restructuration industrielle, ce qui provoquerait des licenciements, Nestlé France oriente alors une campagne d’opinion contre ceux qui s’opposent à 356 licenciements dans le Gard.

L’isolement

Au fil de la crise, la presse, locale et nationale, les élus (de tous bords, jusqu’au PCF), enfin les opinions locales exercent une pression très lourde sur la CGT accusée de faciliter la cession de Perrier au motif qu’elle s’oppose au plan de modernisation ! Les salariés eux-mêmes se divisent. Sarkozy intervient : dénonçant sur Europe 1 le « jusqu’au-boutisme d’une organisation syndicale ». Il rencontre l’intransigeant PDG de Nestlé. Lors d’une réunion initiée par le ministère de l’économie et des finances à Nîmes, le 23 septembre, la direction de Nestlé France annonçait son intention de filialiser le groupe, de moderniser le site, et garantit le recours aux CDD et intérimaires en compensation des départs, tout en ne touchant pas aux conventions collectives… Le tout en échange de la paix sociale, c’est-à-dire l’accord puis l’accompagnement de la CGT à propos de l’Accord de gestion prévisionnelle dévoilé en janvier 2004.

Le 24 septembre, les adhérents de la CGT Perrier se réunissent et votent à près de 100 % pour la levée du droit d’opposition au plan de la direction. Mais cela ne suffit pas : la direction décrète qu’elle ne sera satisfaite que si la CGT accompagne son plan et se libère de tout engagement !

Quatre jours après, c’est l’ensemble du personnel qui se réunit. Jean Paul, vingt-cinq ans d’usine, sympathisant CGT, joint par téléphone, assure : « à l’AG, ce matin, c’était houleux, le personnel est très divisé à cause des gens concernés par ces départs, qui y sont favorables parce qu’ils font partie des cas les plus avantageux, mais qui oublient que ce sont autant de postes qui ne seront pas remplacés. C’est la même situation sur d’autres sites comme Vittel-Contrex. Autour de nous, l’opinion est retournée. On est dans le flou : on se demande si Nestlé ne se sert pas de l’opposition syndicale pour vendre l’usine. Et donc pour aller jusqu’au bout, quoi qu’on fasse. »

L’intervention du ministre de l’économie, le 28 septembre, amène la direction de Perrier à revenir sur sa précédente déclaration, et on parle d’embauches pour compenser les départs (1 pour 3). L’État s’engagera à hauteur de sept millions d’euros dans le financement des préretraites.

Pour la fin des illusions collectives

Ce conflit s’inscrit cruellement dans son temps. Ceux qui veulent empêcher le malheur social sont les accusés, et on cherche à les humilier en les impliquant dans la gestion des licenciements. La culpabilisation et la calomnie des Perrier en lutte ont créé une pression intenable. Et comment interpréter la faible implication de la Confédération de Montreuil ? Pire, Sarkozy a même téléphoné à Thibaud pour qu’il fasse pression sur la section CGT de Perrier. Du côté de la CFDT, majoritaire sur les autres sites du groupe, et qui a signé le plan de la direction (avec la CGC), c’est le calme plat. Il faut dire que la filialisation permettrait à la confédération de devenir majoritaire sur tous les autres sites, et de se débarrasser d’une CGT qui reste une épine au niveau national.

Au final, il ressort que l’État qu’on dit « de droit » a laissé ses ministres malmener ceux qui se servent d’une loi pour empêcher des licenciements. Le gouvernement a favorisé l’attitude « responsable » des capitalistes suisses, par exemple en finançant une partie du dispositif. Les élus de tous bords, sans réponses (à quoi servent-ils alors ?), ont préféré la raison du plus fort sous couvert de responsabilité ou de réalisme. De ce côté, le prix de la démagogie pourrait être décerné au maire de Vergèze, le village où Perrier est installé, et qui réclamait rien de moins que la nationalisation de la source. Enfin, l’opinion publique, manipulée, ne s’est pas vraiment sentie concernée par les 356 licenciements annoncés.

Triste tableau qui n’en est pas moins une répétition de ce qui se passe un peu partout à travers le pays. L’État de droit n’est pas un rempart contre le capitalisme qui n’est pas synonyme d’abondance, et se réfugier dans les robes de la République et de ses élus, syndicaux ou politiques, est vain ou trompeur. Même si l’État intervient pour empêcher le pire, il ne fait que limiter la casse sociale, mais toujours en ménageant les intérêts des dominants. C’est donc ailleurs, hors de ces sentiers rebattus, que nous devrons trouver les moyens de la riposte, à Perrier comme ailleurs.

Daniel, groupe Gard-Vaucluse de la Fédération anarchiste