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Toulouse, 3 ans après

état des lieux
Le jeudi 7 octobre 2004.

Le 21 septembre dernier, les Toulousains commémoraient la pire catastrophe industrielle ayant eu lieu en France. 3 ans après où en est-on ? Aperçu quasi-photographique.

Rappelons-le, l’explosion du 21 septembre 2001 de l’usine AZF a fait 30 morts et près de 5 000 blessés ; 35 000 logements ont été endommagés et 6 000 personnes ont dû être relogées ; au niveau des dommages corporels, il y a eu 13 000 dossiers de déposés dont seulement 8 000 sont pour l’instant indemnisés. Différentes manifestations ont eu lieu dans Toulouse, notamment celle des victimes et sinistrés qui dénonçaient et déploraient les trop nombreux litiges encore en souffrance et les promesses non-tenues : par exemple, celle de Total de créer 1 046 emplois, alors que, pour l’instant il y a eu moins de 250 emplois recensés et que l’usine de fabrication de panneaux solaires promise par Total ne créera que 70 emplois (au lieu de 100) et seulement en 2007. Quant au centre de recherches « Cancéropole » qui devrait être construit sur les terrains d’AZF, les dates sont encore incertaines et, de toute façon, éloignées. La manifestation des anciens salariés d’AZF était d’une toute autre nature mais ressemblait à celle de l’année précédente. Cette réunion, sur les lieux de la catastrophe, rassemblait les salariés et leurs familles qui voulaient rester entre eux, mais aussi tout le staff de la direction du groupe Grande Paroisse (filiale engrais de Total). On peut comprendre que ces gens, particulièrement touchés, aient envie de partager cette douleur ensemble, mais de là à faire dans l’« œcuménisme » avec les patrons… C’est bien l’effet secondaire de cette catastrophe, d’avoir conduit quasiment l’ensemble des salariés d’AZF dans le giron paternel de leur patron et de Total [1]. C’est oublier que Total, qui avait affirmé trouver des solutions pour l’ensemble de ses salariés (456) à travers des préretraites, des mutations et des places dans d’autres métiers, a encore quelques cas « difficiles » à gérer (notamment un ancien syndicaliste CGT) et qu’une autre usine du groupe située à quelques kilomètres a été fermée en juin dernier.

Le représentant de l’association des salariés d’AZF (lui aussi ancien responsable CGT) à l’issue de cette cérémonie a préféré dire à la presse qu’il continuait à rejeter les thèses de l’accident qui viennent tout juste d’être annoncées, allant dans le sens de Total.

Les analyses qui viennent d’être rendues publiques [2] réfutent définitivement la thèse de l’attentat : aucune trace de produit susceptible d’être d’origine criminelle (cette thèse avait été développée par des journalistes du Figaro et de Valeurs Actuelles). Elles affirment qu’il s’agit d’un accident lié à une ou des réactions chimiques. AZF conteste ces analyses, en disant que toutes les analyses n’ont pas encore été faites et que des études sismiques et détoniques sont toujours en cours.

Le groupe pétrolier veut sans doute jouer la montre et retarder les échéances au maximum, pour que l’opinion publique ait oublié et pour ne pas être davantage engagé financièrement. En plus, il semble y avoir un règlement de compte entre les patrons de la SNPE, située à côté d’AZF, et les pétroliers. Des histoires qui nous dépassent et dont on se fiche.

Total annonce avoir versé 1,6 milliards d’euros (particulièrement à l’État, pour la reconstruction des bâtiments scolaires) mais omet, par exemple, de rembourser la mutuelle de ses salariés qui a dû débourser des sommes très importantes suite à la catastrophe.

Où en est-on ?

De nombreuses directives et mesures de sécurité ont été prises concernant la chimie, mais surtout les engrais. En même temps, cette catastrophe a accéléré le retrait et la délocalisation de tout le secteur chimique en France et en Europe. Prenant prétexte de la vétusté ou des contraintes de sécurité trop importantes, les gros groupes (Aventis, Exxon, Total, Kemira, Norsk-Hydro…) restructurent et délocalisent à tout va, précipitant le mouvement commencé les années précédentes. En 2003, plus de 8 000 suppressions d’emplois ont eu lieu dans la chimie en France.

Un chantage est exercé par les industriels pour obtenir des reports dans le temps concernant les nouvelles obligations en matière de sécurité et d’environnement ; d’autres accompagnent leurs désinvestissements d’exigences élevées de rentabilité, de suppressions d’effectifs (ce qui va à l’encontre de la sécurité) ou de fermetures de sites ; le travail est de plus en plus oppressant et facteur de stress et d’accidents ; les patrons emploient de plus en plus de sous-traitants (dans le pétrole, seul 1 salarié sur 4 a le statut de pétrolier), etc.

Total, par exemple, pour suivre ce qu’ont fait d’autres trusts pétroliers précédemment, tel que BP, est en train de se désengager complètement de ses secteurs non-pétroliers (c’est à dire englobant toutes les autres activités chimiques), en créant une nouvelle société cotée en Bourse et appelée à devenir autonome. Au nom de la rentabilité et de la réorganisation, des fermetures d’usines sont quasiment programmées (entre autres tout le secteur « chlore » que Total a laissé vieillir et qui devient obsolète et le secteur engrais, vieux et plus assez rentable). Total en vendant toutes ses parts deviendra plus riche et pourra englober la Shell (ce qui semble être son souhait) ou autre et devenir encore plus gros. C’est la politique de restructuration d’un côté et d’absorption acquisition, à la mode en ce moment, de l’autre. Les patrons de la chimie ont, de plus, tiré des leçons sur ce qu’ont été les fermetures de la métallurgie et du textile. Ils ne veulent pas qu’il y ait des vagues ni de grosses manifestations plus ou moins violentes. Ils font cette restructuration sur un temps beaucoup plus long. Le personnel devient assez âgé, et de ce fait ce sont des départs en préretraites qui se font par vagues (au grand bonheur de ceux qui partent, avant l’âge requis par Raffarin) ; le matériel devenant ancien, les conditions de travail sont plus pesantes, ce qui fait que ceux qui restent n’ont pas de grandes volontés de se battre pour garder un emploi sans intérêt et facteur de risques. Reste que lorsque l’usine devient suffisamment petite, qu’il ne reste plus que de 70 à 200 personnes, fermer définitivement devient un jeu d’enfants (comme chez Isover-St-Gobain en ce moment et Pechiney il y a quelques mois).

La fin de l’industrie chimique en France est donc en cours… La majorité de la population est pour, surtout après que l’accident de Toulouse ait prouvé, in vivo, que toute manipulation chimique était susceptible d’être dangereuse pour les gens et pour l’environnement.

Le problème c’est que cette fin n’est pas liée à une prise de conscience. Il n’est pas question de décroissance, ni de mieux fabriquer et autrement, ni de quels produits nous avons besoin… Non, ce sont les patrons et les actionnaires des grands trusts qui décident tout simplement de délocaliser pour trouver de nouveaux marchés et surtout des contraintes moins fortes et des salariés, pour l’instant, moins chers et plus dociles (quoi que). La fin programmée de l’industrie chimique ici, ne va pas de paire avec une remise en question de notre consommation et tous les produits que nous consommons aujourd’hui continueront à être faits là-bas…

Jean-Pierre Levaray


[1Nous avons déjà parlé dans ces pages de ces comportements, en temps et heure.

[2Contrairement a ce qui a été dit dans la presse, il ne s’agit pas du rapport définitif, celui-ci ne devra être rendu qu’en mars 2005 !