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Le Combat anti-OGM

témoignage et commentaires
Le jeudi 14 octobre 2004.

Après les actes de violence subis à Solomiac le 5 septembre 2004, j’étais resté dans une colère noire durant plusieurs jours.

Pourquoi mobiliser tant de militaires pour défendre 500 m2 de maïs ? Pourquoi ces grenades lacrymogènes et autres grenades assourdissantes ? Pourquoi ?

Après l’assemblée générale du collectif, un quatrième rassemblement est prévu près de Poitiers. Ce sera Valdivienne.

En ce matin du 25 septembre, nous nous levons à 6 h 30 du matin pour avaler 550 km en direction de Poitiers.

Naïvement, je pensais passer une longue journée sur la route, mais je pensais aussi passer un après-midi « festif ».

Le long du trajet, nous nourrissons l’espoir que les faucheurs volontaires se déplaceront en masse, pour que le gouvernement voie que nous ne reculons pas à leurs aboiements. À notre arrivée à « La Puye », vers 13 heures, grosse inquiétude, vingt voitures tout au plus…

Mais ensuite tout s’est mis en ordre de marche. Les motards bleus sont arrivés. Les voitures de militants aussi par dizaines. Et, bien sûr, ce maudit hélico bleu avec sa caméra boule. Après Solomiac Now, la présence de cet appareil est irritante et agaçante. C’est donc à quelque 600 militants que vont s’ensuivre les traditionnelles prises de parole et consignes de sécurité. Après quoi, le convoi se met en route. Bien sûr, il ne faut pas oublier l’aimable escorte de ce maudit hélico bleu.

Arrivés à Valdivienne, nous sommes arrêtés par un premier barrage de gendarmes. À mon grand plaisir, une centaine de faucheurs est déjà sur place. Des enfants dessinent à la craie sur la route. Nous attendrons quelques dizaines de minutes que l’ensemble du convoi soit arrivé avant de franchir paisiblement ce premier barrage. Le mouvement se met en ordre de marche, quelques quarante faucheurs portant brassards rouges passent devant. Ce sont nos guides. Suivent, derrière, une banderole des élus du peuple (sénateurs, députés, conseillers régionaux et généraux, maires), des responsables politiques syndicaux. Enfin, nous tous citoyens pacifistes avec nos convictions et nos idéaux.

Arrivés à 400 mètres du champ, nous apercevons plusieurs camions militaires et les reflets brillants des boucliers des gardes mobiles. Deux fusées sont lancées dans le ciel pour prendre la mesure du vent. Ceci fait, alors que nous sommes encore à 300 mètres au moins, les « forces de l’ordre » (comme le titre Libération !) vont ouvrir un feu nourri de grenades lacrymogènes en notre direction. Jusque-là, avec Nadia, nous avancions main dans la main. Le temps de mouiller nos tee-shirts et de les enrouler autour de notre visage, la fumée nous à envahis.

Affolement. Avancer, reculer ? Avancer, jusqu’aux barrières sans se précipiter pour ne pas m’essouffler et maîtriser ma respiration dans cette fumée. Bordel, ça pète dans tous les sens. Je me retourne pour voir si Nadia est là. Rien que de la fumée. Je perds ma concentration et en repartant de l’avant, je prends une grande respiration dans un nuage d’une opacité, d’une épaisseur telle que mes poumons se remplissent de fumée et je m’étouffe. J’essaie de cracher, de gerber, mais je n’arrive plus à respirer.

Je cours alors face au vent pour essayer de retrouver de l’air pur. Je manque de tomber. J’arrive enfin contre les barrières. Et là je rencontre mon sauveur qui m’envoie deux giclées de jus de citron dans la bouche. Miracle je respire à nouveau. Mes esprits reviennent et je décide alors de faire le tour du « propriétaire » pour mesurer l’ampleur des moyens mis en œuvre.

Le champ de maïs (de là je le vois enfin) fait environ 300 m2 et est bordé d’une première rangée de barrières. Devant ces barrières, plusieurs camions militaires vert et bleu. Devant encore ce que j’appelle les piquets mobiles, des « en chemise bleue » qui ont une radio pour recevoir les ordres de ce maudit hélico ou du préfet. Des « en noir » qui vont aboyer les ordres reçus à des « noirs » équipés de boucliers et encagoulés comme s’il allait y avoir une attaque chimique. Pour protéger tout ça, à 50 mètres de la première rangée de barrières, une deuxième rangée avec en plus des rouleaux de fil de fer (pas barbelé, pas encore !).

En contournant le champ pour rester contre les barrières et me mettre dos au vent afin que la fumée ne me tombe pas dessus, j’ai été victime des premières grenades que certains diront « offensives », d’autres « assourdissantes ». Assourdissantes, vu le sifflement que j’ai eu dans les oreilles durant les minutes qui ont suivi, c’est sûr. Je continue mon contournement, les piquets mobiles, ardents défenseurs du maïs à Monsanto, arrosent les faucheurs de tirs lacrymos. Les grenades, c’est sur les intrépides qui s’approchent trop des barrières. Nous parvenons malgré tout avec un petit groupe à nous coller aux barrières. Je tourne le dos au maïs pour voir ce que nous subissons. Je vais rester là pendant 1 h 30 que durera notre résistance.

Un piquet « noir », mobile, avec barrettes, s’approche de deux piquets fixes : « Les gars, prenez ces grenades, vous n’en avez pas encore tiré ?… Ils approchent… Visez les jambes… » Y a pas tout le dialogue, parce que à ce moment les mouvements d’approche sont nombreux, et ça pète de partout. Les jambes, ils les viseront bien, une quinzaine de blessés (certains seront hospitalisés à Poitiers) dont un journaliste.

Au bout d’un moment, parce que j’essaie de les calmer, un groupe de trois gardes mobiles me montre les dents, pas la matraque mais une sorte de truc qu’ils tiennent comme une carabine ? Oups, je m’accroupi et leur tourne le dos. J’essaie de prendre quelques photos… ça pète de partout, lacrymos et grenades, à chaque explosion je sursaute. Au bout d’un moment, je décide d’aller à l’autre bout de la rangée de barrières. C’est là que sont les piquets en chemise bleue. J’essaie un dialogue pour leur demander de calmer le jeu. En réponse : « Alleeeez va t’en ! » C’est qu’il me tutoie, lui. Et puis il me prend en photo, plusieurs fois, vu que plusieurs fois je vais l’interpeller. Ben oui, c’est lui le chef identifiable sur place.

De cette nouvelle position que j’occupe, j’entends vaguement au loin : « Attendez… y’a un blessé, évacuez… » Je me retourne et vois effectivement deux hommes qui portent un gars vers le village. J’interpelle alors la chemise bleue pour lui dire d’arrêter les tirs un instant dans cette direction. Tu penses. C’est pas le respect de l’autre qui les étouffe ces gars-là, ni une ni deux, une salve de lacrymos en direction du blessé et une ou deux grenades pour bien les faire partir vers le village.

Là, je m’insurge et je lui vomis haut et fort : « Tu te rends compte de ce que tu viens de faire ? » Je me permets de le tutoyer vu qu’il se le permet, et puis José avait dit que c’était pas nos ennemis. Au demeurant, c’est vrai, ce ne sont plus des être humains depuis que leur cerveau a été formaté. Nos ennemis ce sont les formateurs, mais eux on les voit pas, là ; ils ont un relais dans l’hélico et puis ils s’expriment dans la presse. C’est ça le débat démocratique à la française.

Donc, je poursuit mon invective à l’égard de la chemise bleue. « En Russie, Poutine il a attaqué une école pour libérer des centaines d’enfants pris en otage par des terroristes. Toi, tu tires sur des centaines de faucheurs venus pour faucher un maïs que 80 % des Européens ne veulent pas voir arriver dans leur assiette. Tu ne respectes même pas l’évacuation d’un blessé. Tu te rends compte de la gravité de ton geste ? » Il a mis quelques secondes à réagir, il me regardait fixement, mais le contenu du regard était vide. Je pense qu’il n’a rien compris parce qu’il m’a dit : « Alleeeez recule… va t’en ! » Et il m’a encore pris en photo. Il se rappelle pas qu’il l’a déjà fait.

Dégoûté, je repars vers une position de piquets fixes. J’aperçois alors la banderole des élus qui approche pour tenter d’ouvrir le dialogue… Et hop, salve de lacrymos et de grenades en direction d’élus du peuple. Je remarque alors que toutes les fumées de lacrymos ont pas la même couleur. Y en a des blanches et des plus jaunâtres. Je fais encore quelques photos pour garder une trace de cette observation. Merde ! plus de pellicule.

Au bout d’une heure et demie de résistance, on nous fait signe de nous replier. Je le dis aux piquets noirs fixes mais ils ne peuvent pas faire remonter l’information.

ça continue de tirer. Alors je retourne voir la chemise bleue. Mais c’est peine perdue pendant que nous nous replions, nous recevrons des tirs « tendus » de grenades lacrymogènes. Avant de quitter la place quelqu’un m’a dit : « T’es fou, ne leur tourne pas le dos, ils sont foutus de te tirer dessus ! ». Ben oui, t’avais raison, ils le font.

Nous savons que ces maïs sont hors la loi. Aucune compagnie d’assurance ne veut couvrir les risques que pourraient engendrer ces essais. Pour autant, les essais sont autorisés et défendus militairement contre ceux, nous, qui voulons faire respecter la loi. Dites-moi, vos gardes mobiles, ils sont assurés eux ?

Après une prise de parole, il est convenu de quitter la place.

Je souffre depuis ces incidents de crises que je qualifierais d’asphyxie, ma bouche prend un goût poivré, mes avant-bras et mon visage se mettent à me brûler.

Lundi, après une nuit difficile, je ne me suis pas rendu à mon travail. Je suis allé voir mon médecin de famille. Après un examen minutieux, celui-ci s’est inquiété de ce que j’avais ingéré et/ou inhalé.

Je lui ai fais part de mon escapade bucolique au bord de la Vienne. Il m’a demandé si j’étais sûr que seuls des gaz lacrymogènes avaient été utilisé. Ce à quoi je n’ai pas pu répondre. À défaut, je suis un traitement antiallergique de trois jours.

Aujourd’hui, mardi 28 septembre, j’ai repris mon travail. Les crises « d’asphyxie » et de brûlures sont moins fréquentes et moins douloureuses.

Bruno Boyer