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« Old boy » de Park Chan-wook

Le jeudi 14 octobre 2004.

Amateurs de films lents, calmes et doux, s’abstenir : dans Old Boy, ça hurle, ça se débat, ça résiste : on résiste à quoi exactement ? Le personnage principal, Oh Dae-Soo, (incarné par Choi Min-Sik qui dépasse peut être encore l’excellence de son interprétation dans Ivre de femmes et de peinture de Im Kwon-Tek) résiste à la mort lente de son moi, à la mort de ses réflexes, à l’immobilité que lui impose avec une identification au rôle qui donne de la chair de poule. Il résiste à la destruction de son esprit et de sa mémoire. Il refuse de croire que ce que lui montre la télévision, installée dans sa chambre, soit vrai. Sur le petit écran on montre, que lui, Oh Dae-Soo aurait tué sa femme et pris la fuite. Dans cette chambre où il vivra reclus pendant 15 ans, sans savoir pourquoi, il résiste à des cauchemars violents, à des injections de toutes sortes, à des gaz, censés altérer son jugement et ses capacités mentales. À cet enfermement qu’il ne peut s’expliquer, il oppose un travail sur sa personne, il essaie d’écrire toute sa vie, il remplit des cahiers, une pile de cahiers qu’il cache, qu’il protège que personne d’autre que lui a le droit d’ouvrir et de lire. Il cherche à se souvenir pour trouver l’explication à sa vie présente, dans cette chambre, avec cette torture permanente de ne pas savoir pourquoi il est détenu là, qui sont ces gens qui viennent le voir, lui coupent les cheveux, lui donnent à manger. Il essaie de savoir où il se trouve, il essaie de s’évader, il invente tout ce qu’on peut inventer pour s’échapper de cette prison qui a l’air d’une chambre d’hôtel minable, il attaque ceux qui lui apportent à manger, etc. Il ne désarme jamais. Il ne cessera jamais de clamer son innocence et de se débattre, cherchant à se souvenir ce qu’il aurait pu commettre comme méfait dans sa vie antérieure, qui justifierait cette réclusion. Le personnage et la terreur qu’il éprouve se communique au spectateur. Il nous donne la chair de poule et nous remplit de compassion. Un beau jour, sans explication, il est libéré. Une voix, la même qui lui donne parfois quelques phrases à méditer, lui suggère de trouver celui qui est responsable de sa détention arbitraire… et un autre film commence. Old Boy est le film d’une détention, Old Boy est le film sur un homme qui cherche à savoir le pourquoi de cette détention, Old Boy est aussi le film de la lente reconquête de soi, et l’affirmation que les liens d’amour et de tendresse n’ont pas de prix et que pour les garder, on acceptera tout et l’on fera n’importe quoi. Old Boy est aussi un film sur le pouvoir de l’argent, sur le pouvoir d’une société où tout un chacun peut être surveillé, acheté, et la seule chose à opposer à ce rouleau compresseur, ce sont des convictions et une volonté de lutte, suivi de la mise en garde contre le piège contenu dans le désir de vengeance.

Parl Chan-wook a tourné un film brillant, violent, tendre et qui, par moments, est drôle. Il constitue un mélange fascinant d’éléments très disparates pris dans des cultures voisines, car en adaptant un manga — de Minegishi Nobuaki et Tsuchiya Garon — il fait des empreints aux codes (ou à la culture ?) des Yakusas, où l’on se mutile pour admettre qu’on a commis une faute. D’autres moments du récit confirment que la morale dominante obéit aux règles du genre : on ne peut se battre seul contre un gang, à l’intérieur des structures, toute révolte est toujours punie. Paradoxe et contradiction : la certitude que tout s’achète avec de l’argent, pourrait s’inscrire en exergue du film et pourtant cette affirmation est constamment mis en échec par ce héros imprévisible, emblématique… comme le film est emblématique de la Corée, entrée peut être trop brutalement dans la modernité.

Heike Hurst