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L’Eau de Vivendi est un peu salée

procès et révélations
Le jeudi 28 octobre 2004.

Roger Lenglet et Jean-Luc Touly [1] sont les auteurs d’un livre sur le groupe Vivendi, L’Eau de Vivendi, les vérités inavouables (Éditions Alias/Patrick Lefrançois, 2003) qui leur a valu une plainte en diffamation de la part du groupe Vivendi. Les deux auteurs sont passés en jugement le jeudi 21 et le vendredi 22 octobre à la 17e chambre correctionnelle. Il me semble important de faire une information sur ce fait car l’évocation du groupe Vivendi ne peut laisser personne indifférent. Le livre de Lenglet et Touly a été retiré de la vente à la demande du groupe Vivendi.

Manipulation d’élus, fuites de capitaux, rapports explosifs cachés, pratiques d’influence et financements occultes, enrichissements vertigineux sur le dos des usagers et des collectivités, etc. Ce sont quelques-uns des scandales que les auteurs ont récemment mis sur la place publique.

Manifestement, Vivendi (aujourd’hui Veolia) multiplie les actions pour dissuader la presse d’ébruiter ces révélations.

Sous le coup d’une attaque en diffamation lancée par Vivendi (comme le sont par ailleurs Le Parisien et le journaliste Éric Giacometti qui ont fait écho à ce livre), les auteurs produiront leurs documents et leurs témoins : une liste impressionnante d’élus, d’experts et de journalistes d’enquête qui permettront de se faire une idée de la réalité des scandales dénoncés.

Parmi ces derniers, on relève les noms de Mario Suarès, ex-président du Portugal, Jacques Julliard, journaliste au Canard enchaîné, et des personnages politiques réputés pour leur incorruptibilité, dont celui qui a fait éclater le « scandale Carignon », à Grenoble, dans les années 90…

Le procès abordera notamment les dessous d’un des plus gros scandales financiers du siècle : l’évasion, vers un compte irlandais, des milliards de provisions versées depuis de nombreuses années par les communes en vue d’entretenir nos réseaux de distribution d’eau.

« C’est pour qu’on mette fin à ces pratiques que nous avons décidé d’aller jusqu’au bout, preuves et témoignages à l’appui, et de refuser toute idée de négociation », expliquent les auteurs du livre contre lesquels Vivendi-Veolia a multiplié les procédures judiciaires, notamment en demandant à la justice d’enregistrer les auteurs, à leur insu, lors de leurs débats publics. Parmi leurs révélations figurent des informations et des dossiers brûlants détenus par les autorités et les compagnies privées. Entre autres, des rapports confidentiels montrant comment on pompe l’argent des Parisiens et des habitants de l’Ile-de-France à leur insu, comme dans d’autres villes françaises. Et des informations sur les ententes entre certains hommes politiques et Vivendi pour manipuler les citoyens.

De nombreuses villes de province sont aussi l’objet des manipulations exposées par les auteurs. De Toulouse à Lille, en passant par Castres, Châtellerault, Grenoble, Cherbourg et beaucoup d’autres communes, des actions ont été lancées par des associations et des élus pour retourner en régie municipale suite aux abus épinglés.

Le procès sera aussi l’occasion de revenir sur les filiales de Vivendi peu visibles sous des noms divers et sur les accords discrets entre les multinationales de l’eau. On y produira sans doute aussi les documents confidentiels où l’on apprend aux cadres de Vivendi à dissuader les élus qui veulent regarder les comptes de près, et en toute impunité à refuser de communiquer aux collectivités leurs marges bénéficiaires et le vrai prix de l’eau.

Enfin, ce procès conduira à évoquer l’intense pratique de « pantouflage » de nombreux élus, de hauts fonctionnaires et de personnalités influentes chez Vivendi.

Parmi les quelques témoins cités par la multinationale, qui prétend défendre l’honneur des élus de Toulouse ayant récemment renouvelé leur contrat avec Vivendi pour une longue période, Dominique Baudis, ex-maire de Toulouse, interviendra à propos d’un gros emprunt contracté par sa mairie auprès de Vivendi, emprunt à 13 % remboursable par les habitants. Cet emprunt est fortement contesté par des associations de Toulousains en colère qui viennent de lancer une action en justice pour le faire annuler.

Poussée dans ses retranchements, l’actuelle direction de Vivendi-Veolia a lancé une procédure de licenciement pour « faute grave » contre Jean-Luc Touly, qui, à défaut d’une réponse du ministère du Travail, a été refusée.

René Berthier


[1Roger Lenglet est philosophe et journaliste d’investigation. Jean-Luc Touly est agent de maîtrise à la Générale des Eaux depuis 27 ans et président de l’Association pour le contrat mondial de l’eau (ACME).