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Les usages de Vivendi

Témoignage d’un militant CGT

Le jeudi 28 octobre 2004.

Daniel Guerrier, maintenant retraité, ancien militant du Syndicat des correcteurs et du SNJ-CGT a témoigné dans le livre de Roger Lenglet sur les pratiques du groupe Vivendi. Guerrier en effet, a été représentant central CGT au comité de groupe Havas, puis au comité de groupe Vivendi Universal aux niveaux français et européen. Extraits de son témoignage :



« Après avoir âprement bataillé dans le cadre du groupe Havas pour obtenir des moyens corrects dans le cadre du comité de groupe (structure paritaire d’information-consultation), quelle surprise de découvrir un protocole d’accord du comité de groupe Générale des eaux, devenu ensuite Vivendi Universal, presque sans moyen de fonctionnement : quatre heures de délégation annuelle pour un représentant central syndical d’un groupe de 100 000 salariés rien qu’en France et environ 300 000 au niveau mondial !

Notre première réaction de représentants fraîchement arrivés fut de demander la dénonciation de cette peau de chagrin. Mais les syndicalistes maison nous firent comprendre que tout cela n’était pas si important… C’était le point de vue d’individus, en fait permanents rémunérés au plus fort indice de leur catégorie, avec locaux confortables, secrétaires — parfois même de la famille, épouses salariées du groupe, voitures de fonction banalisées, etc.

Rien par écrit, tout en cadeaux, un semblant de radicalisme au nom des salariés exploités, des négociations de couloir, des repas d’état-major au plus haut niveau, une connivence de bon aloi autour de quelques havanes, des réunions dans le château du XVIe siècle de Méry-sur-Oise (propriété du groupe entièrement rénovée en 1999) ou carrément aux États-Unis via le Boeing privé du PDG, etc.

J’étais bien le seul à repartir au travail après chaque réunion, sans ressentiment, mais avec l’insolence de le faire remarquer.

Comment continuer à assurer une activité syndicale indépendante au service des seuls salariés dans un tel contexte ? D’aucuns, très minoritaires, s’y sont essayés et s’y essaient encore. Mais ils doivent alors supporter des pièges poussant à la faute lourde, des accusations sournoises, de sabotage ou d’envois de courriers électroniques indélicats, sur fond de fichage informatique, de remise en question des mandats et de demandes d’exclusions syndicales.

Autre face des années Vivendi, l’épargne salariale, au nom de laquelle, comme le disait Charb dans Charlie Hebdo (mars 1999), un salarié en viendra à contresigner sa lettre de licenciement pour maintenir le cours de ses actions. Que nous a-t-on pas raconté comme sornettes à ce sujet, tant du côté patronal, en toute logique, que du côté confédéral, ce qui est plus surprenant !

Le système Vivendi, c’est aussi une proportion inégalée d’anciens hauts fonctionnaires des ministères de droite comme de gauche au mètre carré occupant les sièges centraux du groupe. C’est encore l’instrumentalisation de quelques grands intellectuels opinionistes.

Mais, finalement, les rêveurs que nous sommes, accusés de « syndicalisme révolutionnaire dépassé » par de bons permanents à vie, sûrs de leurs privilèges définitivement acquis, et de leurs bons placements boursiers, nous avons trouvé un allié inattendu. Nous ne serons jamais assez reconnaissants vis-à-vis de celui qui a le plus brillamment démontré le caractère prédateur du système capitaliste : l’agent « J2M ».

Je tiens à rendre hommage aux sans-grades qui continuent inlassablement leur travail de taupe, malgré les chausse-trapes, les trahisons petites et grandes, et la répression. »