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La Constitution européenne

Le Non sauvera-t-il la classe ouvrière

Le jeudi 28 octobre 2004.

La question du futur référendum qui pourrait avoir lieu à l’automne 2005 concernant la ratification du texte de la Constitution européenne suscite de toute évidence un peu d’agitation dans le Lanterneau politico-syndical… Mais tous les protagonistes du débat sont au moins d’accord sur une chose : faire apparaître comme une évidence que le résultat du vote sera déterminant pour l’avenir de la population. À voir…

Mon propos se concentrera essentiellement sur le débat qui s’installe aujourd’hui sur ce sujet dans le mouvement syndical. Il va de soi qu’aucun anarcho-syndicaliste digne de ce nom ne peut trouver dans le texte de la Constitution européenne l’ombre d’un élément positif, bien au contraire. Celle-ci inscrit dans le marbre de manière très claire le cadre économique dans lequel chaque État doit de gré ou de force s’intégrer.

L’article I.3 dit : « L’Union offre à ses citoyens… un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. » En clair, cela signifie un libéralisme pur et dur qui exclut de toute évidence le maintien des services publics. Cette notion de service public n’apparaît d’ailleurs jamais dans le texte pourtant fort long. Elle est remplacée par celle de « service d’intérêt économique général » qui recouvre une réalité très différente. Un point Poste dans la boulangerie du village où l’on vient de supprimer le bureau de Poste relève de cette définition. De même que l’école privée…

Il est tout aussi clair que le principe papal de subsidiarité qui sert explicitement de référence (article I.9-3) est à l’opposé de notre conception fédéraliste. De même, la volonté de pousser jusqu’à l’ultime limite l’intégration des organisations syndicalistes, via la Confédération européenne des syndicats notamment, dans le rouage des institutions est évidente. L’article III.104-4 est sans ambiguïté : « un État membre peut confier aux partenaires sociaux à leur demande conjointe, la mise en œuvre des lois cadres européennes. »

Le tout forme donc incontestablement un ensemble cohérent, totalitaire même par certains aspects, entièrement tourné contre les salariés et ce qui reste d’indépendance de leurs organisations syndicales. L’exemple de l’affaire Perrier-CGT est de ce point de vue très significatif. Non seulement le patronat veut que le syndicat plie devant ses exigences mais en plus il est sommé de les accompagner. Il semblerait que Thibaut, secrétaire général de la CGT, se soit beaucoup employé à faire « entendre raison » à ses troupes un peu trop remuantes. Le soutien affiché à la Constitution européenne de John Monks, secrétaire général de la CES qui est à l’Europe syndicale ce qu’est la CFDT au mouvement syndical français, est donc parfaitement logique. Bref, nul doute que ces orientations doivent être combattues. Mais la bonne question est la suivante : comment ?

Est-ce que les urnes peuvent nous prémunir de cette logique destructrice ? L’expérience prouverait plutôt le contraire ! D’ailleurs les dernières élections régionales et européennes, malgré la claque qu’a subie le gouvernement, n’ont pas infléchi d’un iota la politique de Raffarin. Les salariés d’EDF, les « transférés » (TOS de l’Éducation nationale, Équipement, etc.) et les assurés sociaux peuvent en attester. Par définition même, le vote politique, acte individuel, est à l’opposé de ce que devrait viser à construire le syndicalisme : l’organisation de la force collective des salariés.

L’idée propagée par tel ou tel courant politique dans le mouvement syndical que le non pourrait constituer un « déclic » dans le cadre d’une « crise politique profonde » dont on nous parle depuis dix ans est dangereuse. Elle peut donner en effet l’illusion que le mouvement social pourrait se dispenser de la construction d’un rapport de force en attendant gentiment que la solution sorte des urnes.

L’exemple repris parfois de l’appel à voter non au référendum gaullien de 1969, de la confédération Force ouvrière, seul exemple où FO a effectivement donné une consigne de vote, n’a donné lieu ni à un déclic particulier ni à un bouleversement des politiques menées à l’époque.

Il est toujours risqué pour le mouvement syndical de s’inscrire, voire de se soumettre aux échéances électorales, fussent-elles référendaires. D’ailleurs n’est-il pas naïf de penser que le système en place, au-delà des politiciens qui le servent, ne peut surmonter un éventuel résultat négatif. Les Danois n’ont-ils pas, par exemple, été amenés à voter une seconde fois pour entériner de gré ou de force le traité de Maastricht. Et il existe bien d’autres manipulations qui leur permettent d’arriver à leurs fins.

J’ignore qui du oui ou du non l’emportera dans un an. Mais ce que je sais c’est que quel que soit le résultat, l’enjeu déterminant est la résistance collective des salariés que le mouvement syndical aura ou n’aura pas su organiser.

Samuel