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Intermittents, toujours et encore…

Le jeudi 4 novembre 2004.

Curieuse « période de transition » chaotique, que cette rentrée d’octobre. Les premiers effets désastreux du protocole commencent à se faire sentir colmatés, cahin-caha par les mesures d’urgence mises en place jusqu’en janvier 2005, date de la prochaine négociation. Initialement prévue pour examiner les premiers résultats de la réforme (507 heures en onze mois), elle devait initier la phase nº 2 jusqu’à parvenir à la phase finale : 507 heures effectuées en huit mois pour sept mois d’indemnisation.

À l’évidence, il devrait s’agir d’une renégociation, puisque l’État a reconnu de fait, par la création du fonds spécial, la quasi-impossibilité d’appliquer le protocole. Il s’agit d’une victoire appréciable ; et les acquis obtenus après une lutte acharnée : la réintégration des femmes enceintes et d’une certaine catégorie de malades ne sont pas à négliger.

Mais la manière dont sont appliquées les premières mesures et les programmes de réformes ne permettent pas de se bercer d’illusions : le but recherchée est d’exclure du régime un maximum d’intermittents, et de la manière la moins visible possible.

Ainsi, le fonds d’urgence (AFSP) prévoyait 13 000 allocataires à réintégrer, et une somme globale de 80 millions d’euros pour ce faire.

Or, 1 035 dossiers ont été déposés, dont 36 % ont été rejetés : 529 admis, 378 rejetés, 128 en cours (961 000 euros dépensés).

Pourtant, l’évaluation semblait juste. Alors, que s’est-il passé ? Une brusque régression du chômage ? Non, mises à part, les causes naturelles, pourrait-on dire : activité traditionnellement accrue en juillet-août, délai nécessaire pour que les allocataires arrivent en fin de droit, information insuffisante et manque de formation des employés des Assedic (jusqu’en septembre, le réexamen n’est pas automatique), la raison de cette économie n’a rien de réjouissant. Les véritables exclus du système n’ont pas accès au fonds. Il s’applique en effet uniquement aux intermittents qui auraient effectué leurs heures en douze mois et non onze. Sans rentrer dans les méandres de l’application du système, disons simplement que, de fait, cela ne peut concerner actuellement que des intermittents qui seraient encore à l’ancien régime (date anniversaire avant janvier 2003), et qui auraient effectué leurs heures en tout début d’ouverture de droit et en toute fin. C’est un cas de figure assez rare.

Qui sont les exclus du système ? D’abord, les malades dont les congés maladie ont été inférieurs à trois mois consécutifs. Puis, ceux qui ont « trop » travaillé. En effet, compte tenu de la spécificité de ces professions, il était admis que, sous réserve d’une dérogation accordée à l’employeur, le temps de travail pouvait excéder la durée légale (48 heures par semaine et/ou ou 192 heures par mois). Mais il n’était pas demandé au salarié de présenter la dérogation, que l’employeur d’ailleurs ne lui fournit pas. S’il ne l’avait demandée (ce qui était le cas la plupart du temps), il revenait à l’inspection du travail d’agir.

Aujourd’hui, encore que les réponses aux questions posées par les syndicats sur les modalités d’application n’aient pas été données entièrement, les programmes informatiques bloquent automatiquement la prise en compte des heures : on pénalise donc le salarié pour une faute commise par l’employeur. Avec cette logique, on peut imaginer qu’un salarié se verrait refusés les remboursements de Sécurité sociale si son employeur n’a pas payé ses cotisations à l’URSAFF.

Croit-on réellement que les gens peuvent aller vérifier à la direction départementale si leur employeur a demandé une dérogation, en plein tournage par-dessus le marché ? Et en cas d’employeurs multiples ?

Il faut, soit refuser le travail, un comble, soit accepter que ses heures ne soient pas prises en compte. Et ces exclus là n’ont pas accès au fonds.

Autres rejetés : les titulaires de contrats multiples chez le même employeur. Désormais, des cachets isolés, même d’une journée, effectués le même mois chez le même employeur, feront l’objet d’une déclaration globale de date à date. Conséquence : au lieu de compter pour 12 heures comme cachets isolés, ils ne comptent plus que pour 8 heures. Là encore, c’est traité automatiquement par les programmes informatiques.

Enfin, les cumuls d’heures du régime général avec les heures du spectacle ne sont plus possibles, et les heures de formation (enseignement donné dans les stages de formation continue) ne sont plus prises en compte. Les intermittents du spectacle ont donc eu de très mauvaises surprises à la rentrée, d’autant plus que d’aucuns comptaient sur ce fameux fonds « au cas où ». Et pour parachever l’œuvre d’élimination discrète, une machine à exclure, imparable, celle-là, se met en place : voici le retour du spectre du travail saisonnier. Ce n’est pas nouveau, mais jusqu’à présent, les employés des Assedic avaient une certaine marge de manœuvre pour examiner les situations. Là aussi, le rejet se fera automatiquement. Si, sur trois ans, une période d’inactivité de plus de 30 jours se reproduit au même moment, le salarié passera sous le régime du travail saisonnier et sera exclu du système. Le moyen de ne pas avoir une même période d’inactivité de 30 jours sur trois ans lorsqu’on boucle péniblement ses 507 heures et qu’on a, comme c’est souvent le cas en audiovisuel, des contrats de plusieurs semaines. Moralité : on garde les 507 heures comme droit d’accès au système, puisque les intermittents du spectacle n’accepteront jamais de lâcher cela, mais on se débrouille pour exclure progressivement les allocataires au bout de trois ans.

À l’instar de ce penseur qui pensait résoudre le problème du paupérisme par l’élimination des pauvres, le Medef résout le problème des intermittents du spectacle en les éliminant : escamotage réussi via une métamorphose en travailleurs saisonniers.

Michèle Rollin