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Où est la sortie du tunnel ?

Le jeudi 11 novembre 2004.

Entre consensus large pour la paix sociale, démantèlement du service public et attaques tous azimuts



La signature, le 28 octobre, de l’accord sur la prévention des conflits par six des huit organisations syndicales [1] du chemin de fer « représentant » 78 % des cheminots est présentée unanimement dans la presse comme un tournant dans l’histoire des relations sociales à la SNCF. Cet « acte de responsabilité collective majeur de la direction de la SNCF et des syndicats vis-à-vis des clients » (Gallois), cet « événement majeur et porteur d’espoir » (G. de Robien) ne remet en fait nullement en cause l’exercice du droit de grève tel qu’il prévaut actuellement, mais il engage les organisations signataires à un processus de négociations aboutissant de fait à allonger le préavis de grève à près de trois semaines. Ce recul historique est présenté par la Fédération CGT comme une tentative de couper l’herbe sous le pied à l’offensive des députés UMP pour l’adoption d’une loi sur le service minimum réellement contraignante et restrictive du droit de grève. Ce consensus syndical et patronal suffira-t-il à faire échec à une légifération et aux fantasmes des lobbies de droite, on peut en douter, même si les députés ont voté le 3 novembre le quitus à leur ministre des Transports et repoussé le calendrier du chantier du service minimum de huit mois pour juin 2005. Cet accord ne pourra rassasier les appétits voraces de ce gouvernement de classe qui entend bien profiter de sa majorité absolue pour passer tôt ou tard en force sur le sujet.

En tout cas, la signature de cet accord consacre une nouvelle fois l’évolution de la CGT dans l’abandon du syndicalisme de lutte et de conquête sociale pour le syndicalisme de résignation et de collaboration. Depuis l’accord des 35 heures à la SNCF, signé en 1998, légitimant modération salariale et flexibilité du temps de travail, à l’opposition à la nécessaire grève générale pour la défense des retraites, la non-bataille de la Sécu et l’intégration à la très libérale Confédération européenne des syndicats (qui vient d’apporter son soutien au non moins libéral projet de Constitution européenne), la CGT entend au prix de tous les renoncements consolider sa place de partenaire de confiance dans le cercle restreint des décideurs politiques, économiques et sociaux. Cette signature permet également de marginaliser les deux organisations FO et SUD-Rail qui, dans une situation de quasi-hégémonie de la CGT (47 % aux élections de 2004 contre 7 % pour FO et 14 % pour SUD-Rail pourtant deuxième OS), peinent à développer une stratégie autonome d’opposition au consensus dans un contexte inquiétant d’attaques tout azimut contre le service public ferroviaire et les cheminots.

Le démantèlement du service public ferroviaire amorcé par la gauche plurielle dès 1997 par la séparation de l’exploitation (SNCF) et de l’infrastructure (création de Réseau ferré de France), l’ouverture à la concurrence du transport de marchandises en mars 2003 et celle prochaine du transport de voyageurs, la régionalisation du Transport express régional sont quelques étapes de cette mutation du service public SNCF vers une machine de guerre commerciale dans une Europe de la concurrence. La « Charte du service public », massivement diffusée dans la presse et dans les gares, acte cet abandon des valeurs du service public : désormais chaque train de voyageurs ou de fret doit être rentable, le cas échéant, les régions doivent payer la différence sous peine de voir supprimer purement et simplement ces trains. Les nouveaux Trains inter-régionaux (TIR) rentrent dans cette logique comptable de chantage sans scrupules aux subventions, tandis que sur les axes rentables, la SNCF entreprend de faire rouler les premiers trains privatisés baptisés I-TGV.

La manifestation nationale du 25 novembre à Paris, à l’appel des huit fédérations syndicales du chemin de fer sur cinq mots d’ordre communs : la défense du service public, l’avenir du fret, l’emploi, les salaires et la défense du droit de grève, peut être un premier pas vers une prise de conscience des travailleurs du rail et des usagers sur les dangers qui menacent le service public ferroviaire.

Dans tous les cas, nous ne pouvons nous satisfaire d’une énième « journée d’action » sans lendemain, qui n’est en fait qu’une stratégie de canalisation et de neutralisation des colères cheminotes. La grève générale reste la seule riposte à la hauteur des enjeux actuels et à venir, mais encore faut-il pour cela renouer avec les pratiques du syndicalisme d’action directe. En Italie où l’exercice de la grève a déjà été rendu quasi impossible par la multiplication des mesures contraignantes et une répression croissante de l’activité syndicale, on peut constater un retour à une forme d’action syndicale nettement plus radicale, multipliant les grèves sauvages sans préavis. C’est dans ce sens que les militants anarchistes et anarcho-syndicalistes entendent œuvrer.

Julien, groupe de la FA de Rouen, cheminot syndiqué SUD-Rail


[1CGT, CFDT, CFTC, UNSA, FGAAC, CFE-CGC signent, FO et SUD-Rail ne signent pas, cette dernière réservant sa décision à l’issue sans surprise de la consultation statutaire de ses adhérents.