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En atendant la grève générale…

après le 25 mai, le 2 juin, le 14 juillet ? la nuit du 4 aout ?
Le jeudi 29 mai 2003.

La mobilisation continue dans l’Éducation nationale et, semble-t-il, sans trop marquer le pas. Où en sommes-nous donc, notamment dans la perspective d’une grève générale qui n’en finit pas de se faire désirer ? Attendue par toutes celles et tous ceux qui sont en grève reconductible depuis le 6 mai, et qui trouvent le temps long, euphémisme pour ne pas dire qu’ils commencent à désespérer, ils la voient chaque jour reportée aux lendemains de nouvelles dates butoir. Même cantonnée à la simple fonction publique, elle semble, comme l’horizon, s‘éloigner au fur et à mesure qu’on en parle et qu’on croit s’en approcher.

Scolaire, exemplaire ?

Une fois n’est pas coutume, c’est le personnel de l’Éducation qui est parti le premier et a été le moteur du mouvement. Ce dernier ayant commencé avant les vacances de printemps sous le triple signe de la décentralisation, du budget et évidemment des retraites, avec des grèves reconductibles dans de nombreuses académies. Suspendu pour les vacances des trois zones, il a redémarré au retour de celles-ci, et la journée nationale d’action syndicale du 6 mai en a été l’occasion. Il n’a depuis cette date cessé de croître et de s’amplifier, touchant chaque jour de plus en plus d’académies, au sein desquelles écoles, collèges, lycées et maintenant universités. Depuis cette date, il ne cesse d’appeler les autres secteurs de la fonction publique à venir le rejoindre dans la lutte, afin de préparer un puissant mouvement de convergence avec les salarié(e)s du privé.

Vint le succès historique du 13 mai, et tout le monde se disait, vu l’ampleur, que ça allait péter de partout. D’ailleurs, dès le 14, les cheminots et les traminots se lançaient ! C’était compter sans l’appareil de la CGT. Déjà, il ne voyait pas d’un bon œil un mouvement où il avait peu de prise — la CGT est archiminoritaire dans l’Éducation, même dans l’enseignement professionnel — et où sa base le débordait. Il a donc tout fait pour l’arrêter, n’ayant en tête que la manifestation du dimanche 25 mai. Circulez, il n’y a rien à voir ! De toute façon, après les pseudos négociations où les dirigeants CFDT lui firent le bras d’honneur que l’on sait, et à tous les travailleurs par la même occasion, il ne lui restait plus qu’à aller pleurer et se faire consoler de cette énième trahison — c’était bien la peine de vouloir maintenir à tout prix cette unité de façade — au congrès du PS ! Thibaut superstar, qui l’eût cru ?

Petit marché entre amis

On est en droit de se demander s’il n’y est pas venu pour autre chose que se faire applaudir, pour passer un deal, une sorte d’alliance, d’allégeance réciproque. Le Parti communiste étant aux pâquerettes, les dirigeants cégétistes ont horreur du vide. Puis- qu’on ne peut plus être la courroie de transmission d’un puissant Parti communiste, inversons en quelque sorte les rôles et faisons du PS un relais de nos propositions, revendications et actions, à charge pour lui de les intégrer dans son programme. En somme, ce n’est pas tant par la lutte sociale, mais par du lobbysme que l’on fait aboutir les revendications. On est donc toujours dans cette conception du syndicalisme assujetti au politique, où ce dernier est prioritaire par rapport à l’action syndicale et où celle-ci doit s’effacer devant les intérêts supérieurs du parti. Il faut préparer une alternative politique, un futur gouvernement de gauche. Offrons donc au PS nos adhérents sur un plateau, de quoi se ressourcer à gauche, fût-ce au prix d’une certaine modération. D’où la volonté d’apparaître comme étant un syndicat qui négocie et qui signe. Une aubaine pour un PS n’ayant plus de relais dans le monde du travail, la CFDT sentant de plus en plus le cramé !

On saisit mieux maintenant ce silence assourdissant quant au retrait pur et simple du plan Fillon et l’abrogation des dispositions Balladur ! Le PS n’a jamais rien fait contre, et Jospin a signé à Barcelone un engagement à augmenter la durée d’activité des salarié(e)s. On le comprend d’autant mieux que l’on se cantonne à des appels du style « il faut amplifier l’action » et que jamais des gros mots comme « grève générale » ne soient prononcés. Alors on fait lanterner, pour la fonction publique on refait une journée d’action le 19, qui marche un petit peu moins bien, et on réappelle à la manif du 25. Une petite anecdote qui montre bien l’état d’esprit de l’appareil CGT. À Rouen, le comité de grève, constitué des délégué(e)s des secteurs en grève et où les syndicats — dont Éduc’action de la CGT — ont voix au chapitre, organise la manif et décide d’un parcours faisant une halte devant le rectorat, ce qui ne semblait que justice vu l’importance des grèves dans l’Éducation. Pas question pour la CGT qui, au dernier moment, imposera son parcours. Idem dans l’organisation du cortège, c’est une tradition ouvrière que la tête de cortège soit tenue par le secteur le plus en pointe dans un mouvement, les cheminots en 95 par exemple, l’Éducation en 2003. Là encore, l’appareil cégétiste imposera son ordre. C’est aussi comme ça qu’il faut comprendre cette fixation sur la réussite de la journée du 25 mai. Même si la CGT n’est plus toute seule à y avoir appelé, même si le succès dépasse largement ses capacités de mobilisation, elle en aura quand même été à l’initiative et retrouvera ainsi une légitimité pour s’autoproclamer direction de la lutte.

Tout cela est révélateur qu’il n’y a pas de changement sur le fond. Stalinien tu es, stalinien tu restes. Même repeint au rose de la social-démocratie, les habitudes demeurent et le naturel revient au galop. Les pratiques sont plus fortes que le contenu idéologique, comment pourrait-il en être autrement avec ces militants nourris au bon lait marxiste-léniniste qui dit que le bureau politique et/ou confédéral a toujours raison ! Et quand le bureau décide, l’appareil suit, le petit doigt sur la couture du pantalon. Et si les chefs ont dit que ce n’était pas le moment de débrayer… Si les dirigeants bien aimés ont décidé qu’il fallait laisser pourrir un mouvement plutôt que de l’aider, parce qu’on n’en tient pas les rênes… Si les leaders éclairés ont analysé que la grève générale pouvait éventuellement faire plus que reculer, faire par exemple tomber le gouvernement Raffarin, ou déboucher sur une crise politique, alors que l’alternance de gôche n’est pas prête, alors pas question d’aller à l’aventure, ils sont responsables devant le peuple, voyons !

Dans ces conditions, retarder un hypothétique mouvement d’ampleur, on n’ose plus parler de grève générale, à un après-2 juin — les cheminots en grève reconductible —, c’est soit faire un baroud d’honneur pour apparaître comme ceux qui ont tout fait jusqu’au bout pour sauver nos acquis, soit effectivement lancer une réelle généralisation — mais sans beaucoup d’enseignant(e)s entre la fatigue et ce piège des examens — et dans les deux cas en s’en remettant à la direction…

De toute façon, nul doute que dans les années à venir, comme au bon vieux temps du Programme commun, on nous expliquera qu’il faudra bien voter comme il faut pour récupérer ce qu’on aura perdu et que la Gauche — unie, plurielle, multiforme, sociale, etc. rayez les mentions inutiles — résoudra tous les problèmes. Chérèque a vendu comptant nos retraites au gouvernement et au patronat, Thibaut, lui, les a vendues à crédit au PS !

Éric Gava milite au groupe de Rouen de la FA