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Logique de profit

Le jeudi 18 mars 2004.

Interview réalisée et publiée dans Le Communard 35 (nº 3, mars), feuille anarchosyndicaliste des militants FA de Rennes. Jean-Marie Michel est délégué syndical CFDT depuis le 23 août 2003, jour où la direction de STM a annoncé la fermeture de l’usine de Rennes.



Le Communard : Sur la fermeture de STM, qu’est-ce que l’État, la municipalité ont dit et quelles solutions peuvent-ils apporter (en particulier sur le gel des licenciements) ?

J.-Marie Michel : Nous avons reçu beaucoup de messages d’encouragement de la part de la population, d’individus et de diverses organisations. De la part des représentations institutionnelles que tu cites, nous n’avons rien eu de plus que des paroles : aucune action. La ministre de l’Industrie, Nicole Fontaine, a indiqué qu’elle ferait en sorte de « geler la procédure ». Cela n’a pas été suivi d’effet. Pourquoi ? Parce que tous, par rapport à l’économie de marché, ils s’avouent impuissants. Ce sont les Bourses (en particulier New-York) qui gèrent l’économie d’un pays. On s’en rend compte tous les jours en analysant la situation économique de STM. À STM, ce sont des licenciements pour augmenter le profit. Ce ne sont pas des licenciements économiques. C’est pourtant interdit par la loi. Mais personne ne veut s’opposer à l’économie de marché. Il n’est possible de contester ces licenciements, en s’appuyant sur la loi sur les licenciements économiques, qu’une fois que les licenciements ont eu lieu.

Aujourd’hui, on nous dit que les entreprises doivent avoir la liberté de s’installer, qu’on laisse aux entreprises plus de liberté. Mais tout ça se fait au détriment des salariés. Ils disent qu’il faut augmenter la compétitivité. Mais ce sont les salariés qui sont à l’origine de l’augmentation de la productivité par l’augmentation du rendement. STM est une boîte rentable qui dispose au niveau mondial de 3 milliards de dollars de cash en banque, avec un endettement inférieur à 5 %, et une marge brute (taux de profit) de 35 à 40 %. À titre de comparaison, dans l’automobile, cette marge brute est de l’ordre de 15 %. La situation financière de l’entreprise est donc exceptionnelle.

Si on laisse faire ces entreprises profitables, avec des technologies d’actualité, qui ferment du jour au lendemain, alors les salariés vont perdre confiance en leurs entreprises. Les industries en France vont donc en pâtir douloureusement. Ce ne sera pas parce que ces entreprises auront plus de charges ou des règles plus strictes pour licencier ou pour s’installer qu’elles auront des difficultés, mais parce que les salariés n’accepteront plus les licenciements. Une fois qu’ils seront reclassés, ils n’accepteront plus qu’on baisse leur salaire ou d’être diversement pressurés, car ils ne croiront plus ce discours-là.

Le Communard : Quelle a été la place des syndicats dans la lutte ?

J.-M.M. : Je crois que ce qui est très important dans la lutte, ce n’est pas forcément la place d’un syndicat, mais bien plutôt la nécessité impérieuse qu’ont les salariés de connaître leurs droits et de savoir se défendre par rapport à leur patron. Or depuis quelques années, les salariés ne connaissent plus ni leurs droits, ni ceux de leur patron. Cela permet au patron d’outrepasser ses droits, car lui les connaît. Les licenciements auront sans doute lieu mi-avril. Les salariés auront gagné 15 jours de répit par leur combat. C’est toujours ça de pris. Ce que je dis quand je vais visiter les autres sites en France, c’est peu importe la structure dans laquelle vous allez vous organiser pour réfléchir à ce que vous vivez, et agir ensemble, syndicat, parti, association… ce qui compte c’est de le faire ! En tout cas, ce qui compte, c’est de connaître ces droits. Car malheureusement, dans la société actuelle, on a un peu trop tendance à se laisser gouverner par un gouvernement ou un État ou autre. Il faut prendre son avenir en main, et ne plus se laisser gouverner, y compris par un État. On doit se remettre, nous les salariés et tous les individus, qui sommes les forces vives, à diriger nous-mêmes notre vie. Quand mon patron, avec le reclassement de l’entreprise, me dit aujourd’hui d’aller travailler en Isère, à près de 1 000 km de chez moi, je n’ai pas envie qu’il me dise ce que je dois faire. Ce n’est pas aux patrons de gouverner nos vies.

Le Communard : Ce n’est pas un peu révolutionnaire, ça ?

J.-M.M. : Je ne sais pas quel sera le moyen, qu’est-ce qu’il faut faire, est-ce qu’il faudra parler, faire confiance aux gens… C’était tout le but de la manif du 28 février. C’est se retrouver dans la rue pour faire prendre conscience à la population que la situation ne peut plus durer. La CFDT a appellé à la manif avec le slogan « 0 chômeur ». Nous on aurait préféré « 0 licenciement », car penser à « 0 chômeur », c’est penser au reclassement. Le reclassement, c’est sûr, c’est important, on en est à un point actuellement où ça fait partie de notre rôle syndical que de devoir gérer ce genre de choses. Mais il est important de faire comprendre à la population qu’on est face à un gouvernement qui prend des mesures antisociales, pour reprendre la célèbre chanson du groupe Trust. Et ça, à un moment, ça doit s’arrêter. À STM, ce sont des licenciements pour augmenter le profit. Ce ne sont pas des licenciements économiques. C’est pourtant interdit par la loi.

Le Communard : Merci Beaucoup et bonnes luttes.