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Élections

Choses vues

Le jeudi 18 mars 2004.

« Venez, entrez, mesdames et messieurs, venez voir la nouvelle représentation du cirque électoral. » Toujours le même spectacle, même si l’affiche change, comme à chaque fois. Discours, promesses, serrages de mains, cirages de pompes, candidats qui bercent d’illusions. C’est pour ça que ces élections se font sans enthousiasme. Le taux d’abstention est annoncé comme important. « Le spectre de l’abstention » (dixit Le Monde) hante les politiciens, surtout de gauche.

On pourrait pourtant dire que le canton ou la région, c’est encore la proximité, et que des décisions sont prises au niveau de la région ou du département, mais on sait bien que ces élections ne confortent que quelques notables et que, de toute façon, ce seront l’état, les patrons ou l’Europe qui auront le dernier mot, alors…

Il y a aussi ce ras-le-bol en même temps qu’une désertion qui se sont installés. Des gens dégoûtés qui se replient sur eux-mêmes.

Enfin, il y a les candidats qui n’y croient même pas, même si l’attrait du pouvoir en titille quelques-uns. La droite sait que sa gestion des affaires est calamiteuse et risque d’être sanctionnée ; la gauche est moribonde, divisée et pas crédible ; reste le FN qui parade et l’extrême gauche qui se sent portée par une vague (?) et qui semble y croire.

Ce dimanche matin, sur le marché populaire d’une ville de la banlieue rouennaise, ils sont venus, ils sont tous là. Entre la crémière et le marchand de fruits et primeurs, tous sont venus pour cet exercice obligé de « contact avec la population ». Toute la palette politique est représentée (sauf le FN, qui ne vient jamais ici) avec force tracts, badges, affiches, journaux et militants.

J’évite les militants UMP et UDF, sans intérêt. Le député PS est venu serrer des mains pour soutenir la candidate de son parti. Les militants du PC semblent décatis, peut-être nostalgiques d’une époque lointaine où ils caracolaient en tête de la gauche dans la région. Les Verts ne vont pas beaucoup mieux, quelques parachutages parisiens ont créé des dissensions.

Restent les sectes trotskistes qui occupent le pavé. D’abord les minuscules qui veulent quand même avoir voix au chapitre et qui appellent à voter le plus à gauche ou à bien lire les professions de foi avant de voter. Le PT, lui, appelle à ne pas voter pour les élections régionales, mais présente des candidats aux cantonales (peut-être n’a-t-il plus les moyens financiers ou militants pour être sur les deux fronts). Quant aux militants LO et LCR, ils sont omniprésents, comme s’ils avaient beaucoup à gagner (ces partis d’extrême gauche pensent que les acquis des scrutins prochains permettront de monnayer quelques places lors des élections de 2007). Pathétique pourtant de les voir avaler tant de couleuvres pour tenter de devenir ce « parti » qu’ils appellent de tous leurs vœux et qui devrait prendre la place du PC.

Dans les allées du marché, des portraits d’Arlette et du postier sont plantés, histoire de bien enfoncer le clou, des fois que les passants n’aient pas bien compris. Un militant de LO appelle à voter pour sa liste pour « sanctionner la politique du gouvernement au service du Medef ! », pourtant il sait bien que, si sa liste obtient des strapontins, ils ne pourront rien faire, pire, ils ne feront que conforter le système. Et s’il s’agit juste d’un « vote sanction », « contre les licenciements et la misère », la portée est plus que limitée.

Ses copains ou copines cherchent et provoquent la discussion parce que c’est leur boulot, qu’ils sont là pour ça et que, s’ils veulent amener avec eux le « vote ouvrier », ils doivent convaincre et, là, c’est pas gagné. En témoignent ces phrases entendues :

« Dans ma boîte, les militants de vos partis se sont mis en vacances de syndicat pour se consacrer aux élections, comme quoi ils sont comme les autres : ils privilégient la lutte pour le pouvoir à la lutte des classes. »

« Plutôt que de voter, même pour vous, les ouvriers feraient mieux de se bouger le cul » ; enfin, il y a un type qui dit :

« Les chômeurs se foutent de la politique. On est trop occupé à essayer de vivre et à boucler le mois. Notre souci, ce n’est plus “pour qui je vais voter ?”, mais “comment je vais manger ?” » Là, ça fait mal, et le militant LCR a beau lui sortir quelques slogans, ça ne marche pas.

Je quitte le marché. Aujourd’hui, les copains de la FA ne sont pas venus sur ce marché. Mais est-ce utile de faire campagne pour l’abstention ? Les gens ont compris que les élections ne changeaient pas la vie, qu’elles ne donnaient lieu qu’à des illusions. Reste qu’il faudrait, dans le même temps, qu’ils s’auto-organisent et luttent, mais c’est une autre histoire. Et c’est pour cette histoire-là que militent les anarchistes.

Jean-Pierre Levaray