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« Terre et liberté » pour les Mapuches du Chili

Le jeudi 25 mars 2004.

Dans la langue « mapudungun », le mot « mapuche » signifie « les gens de la terre ». Au début du XIXe siècle, quand le Chili était encore une colonie espagnole, les Mapuches occupaient un territoire aussi grand que le Portugal, soit 100 000 km2, au centre du pays. De 1866 à 1927, ils ont été relégués sur 5 000 km2 de réserves, à peine plus de 5 % de leur territoire d’origine. D’après le recensement de 1992, ils seraient 928 000 au Chili.

Les Indiens mapuches représentent 10 % de la population adulte du Chili. Les restrictions imposées sur leurs droits de propriété et l’appauvrissement ont été à l’origine d’un exode rural massif. Après 135 années d’afflux vers les villes, le plus souvent sous la forme d’un déplacement forcé, la moitié de cette communauté s’est concentrée à Santiago. Enfants compris, un habitant sur dix du Grand Santiago est mapuche. 200 000 vivent dans d’autres villes telles que Valparaiso ou Concepción.

Pour la majorité des Chiliens, cependant, un Mapuche est un paysan qui vit en communauté dans les terres de l’Araucanie, une région du sud, et qui lutte pour sa terre. Les autres sont ignorés et discriminés. Aujourd’hui, 40 % seulement de la population mapuche vit sur ses territoires ancestraux. Plus ou moins consciemment, pourtant, la mentalité collective chilienne continue à la percevoir au travers de stéréotypes qui font obstacle à son insertion dans la société chilienne. Les médias contribuent largement à entretenir une image négative des Mapuches.

Des siècles de colonisation

La violation systématique des droits de l’homme dont est victime le peuple mapuche a commencé avec l’arrivée des conquistadores espagnols. Ce sera la vision ethnocentriste et raciste, guidée par une ambition effrénée d’enrichissement de la part des Européens qui justifiera le génocide de plus de 60 millions de personnes dans ce « nouveau monde ».

La résistance de ce peuple contre l’invasion de son territoire va se prolonger pendant plus de trois cents ans, et les Mapuches parviendront à obtenir certaines garanties pour le respect de leurs droits fondamentaux face à la couronne hispanique. Le pacte de Quillin signé en 1641 reconnaît l’indépendance du territoire mapuche depuis le fleuve Bío Bío jusqu’au sud du pays.

L’indépendance du Chili et la création d’un État en 1810 changent les relations entre les Mapuches et les descendants des conquistadores. En 1826, l’État chilien signe le traité de Tapiweh avec la nation mapuche reconnaissant un territoire limité par une frontière naturelle : le Bío Bío. Mais dès les premières années, la toute nouvelle république met en place un dispositif de lois et une politique de colonisation qui aura pour conséquence une guerre brutale au cours du XIXe siècle.

Vers 1883, les Mapuches perdent leur liberté et leur territoire en faisant face à une armée chilienne professionnelle et puissante. Commence dès lors une campagne de violation constante des droits fondamentaux. Au moyen d’une politique d’éradication, de déracinement et d’assimilation forcés, l’État chilien continue le processus de colonisation et d’extermination des Mapuches. Le système des « réserves », copie intégrale du modèle nord-américain, est mis en place par divers gouvernements jusqu’en 1925, année au cours de laquelle les derniers natifs sont parqués dans la zone de Cautin.

Le mode de vie Mapuche, ayant pour base la possession communautaire des terres, se voit bouleversé par la contre-réforme agraire imposée par le régime militaire de Pinochet (mettant l’accent sur la propriété individuelle privée). Ce qui implique la perte de plusieurs milliers d’hectares de terre récupérés par des entrepreneurs latifundistes et par de grandes entreprises forestières.

Le pillage des territoires

L’expansion de l’activité forestière, mais aussi touristique, affecte gravement les droits des Mapuches en les dépossédant de leurs terres.

La construction de routes et de centrales hydroélectriques sont autant de dangers pour la souveraineté des Mapuches sur leur territoire. Ces entreprises forestières, qui représentent 1,5 million d’hectares, bien que soutenus et autorisés par l’État chilien, sont hors-la-loi, car les terres en question sont la propriété des Mapuches, reconnue comme telle et protégée par la législation du pays. De plus, la qualité des terres et des eaux des territoires mapuches est sérieusement menacée par toutes ces activités industrielles forcément polluantes.

Au Chili, comme dans la plupart des pays latino-américains, il existe une loi sur les indigènes qui punit la discrimination. Mais ceux qu’elle est censée protéger la jugent inefficace.

Leur territoire est riche en ressources naturelles par ses forêts, ses rivières, ses lacs et ses fonds marins. Aussi est-il une cible privilégiée pour les grands investisseurs chiliens et étrangers (le groupe Matte, Larrain, Shell, Mitsubishi, etc.). Dans le sillage des grandes industries d’exploitation des ressources naturelles se développent des mégaprojets comme celui de la centrale hydroélectrique de Ralco et celui du By Pas, la future grande autoroute de la côte. Ces projets provoqueront une détérioration de l’environnement irréversible par la pollution des sols, des rivières, de la mer et de l’air. La destruction des forêts est liée à la transformation du bois. Les usines de cellulose utilisent de nombreux produits chimiques comme le sulfate de soude, la soude caustique ou le pétrole. Les plantations de pins radiata et d’eucalyptus pour reboiser les forêts détruites, par leur exploitation excessive, acidifient les sols et rendent les terres stériles.

Un mouvement de contestation s’est mis en place depuis quelques années et a obtenu gain de cause auprès de tribunaux qui ont reconnu les titres de propriété sur les terres revendiquées par les Mapuches. Mais les entreprises forestières et leurs milices, avec la complicité de l’État chilien, refusent de restituer les terres.

Le manque de dialogue entre les Mapuches et le gouvernement provient également du peu de crédit accordé à la Corporation nationale de développement indigène qui récemment a été accusée de corruption. L’argent devant servir à l’achat de terres pour les Mapuches était en fait utilisé au financement de campagnes électorales et pour l’enrichissement personnel de ses dirigeants.

La loi indigène de 1993 a pour but de restituer leurs terres aux Indiens. Cette loi, instaurée par le gouvernement « démocratique » de Patricio Aylwin, avait comme but de contrecarrer la Loi indigène, encore valide ,de Pinochet. Celui-ci, en 1973, avait mis en place une loi qui tendait à intégrer les communautés au système néo-libéral, en divisant les terres, et en les mettant en vente.

150 000 hectares ont été promis par le président Lagos lors de son accession au pouvoir. Ils devaient être rendus aux Mapuches en six ans. Restituer les terres mapuches sans faire en sorte que les progrès techniques et économiques bénéficient aux populations, ne peut enrayer le processus de pauvreté et de migration vers les villes. Les Mapuches considèrent la Loi indigène, tout comme la Commission de vérité historique, comme relevant plus du symbolique que de l’effectif. Comment pourrait-il en être autrement quand les politiques chiliens qui créent ces lois, sont aussi propriétaires terriens.

La résistance face à l’État

C’est contre ces projets que se lèvent massivement les communautés mapuches, dans diverses provinces du sud. En 2002, on pouvait dénombrer 22 communautés dans la province de l’Arauco en conflit avec les entreprises privées, et 18 dans la province de Malleco. Les entreprises les plus fréquemment visées sont Forestal Mininco SA, Forestal Voltera Ltda et Forestal Bosques Arauco SA. La militarisation du conflit et le non-respect des cultures indiennes sont avérés. La pression des militaires est aujourd’hui accompagnée par la violence des paramilitaires employés par les grands propriétaires terriens.

Actuellement plus de 400 militants mapuches sont inculpés par les tribunaux pour leur participation aux actions des communautés en conflit. À ces chiffres s’ajoute un nombre important de personnes en fuite.

Plus de dix ministres délégués et quatre juges militaires ont été chargés d’éclairer les divers faits de violence qui — depuis la fin de 1997 — se sont produits dans les VIIIe, IXe et Xe régions. Plusieurs dirigeants et membres des communautés sont inculpés ou incarcérés. Les communautés en conflit revendiquent pour eux le statut de prisonniers politiques.

Dans la majorité des cas, ils sont jugés pour infraction à la loi dite de sécurité intérieure de l’État et à la loi antiterroriste. Ce cadre juridique a pour but la répression des convictions politiques plus que les actions communautaires.

Un gouvernement instrumentalisé

Le texte de certaines lois favorise la pratique des violations des droits de l’homme en général, la persécution des militants mapuches pour raisons politiques et les détentions arbitraires ; les droits de la défense sont bafoués, la torture ou les traitements inhumains durant les interrogatoires policiers sont courants.

Diverses organisations de droits de l’homme et des professionnels du droit pénal considèrent ces dites lois qu’applique le gouvernement chilien comme un véritable retour en arrière en matière de droit.

Par définition, les prisonniers politiques sont tous ceux qui sont incarcérés par décision administrative de l’État, soumis à des procès ou qui sont condamnés pour des actions qualifiées de délits politiques, entendant par là « ceux qui ont l’intention de modifier l’ordre social et politique ou le gouvernement et que la législation en vigueur qualifie de délits ».

Le gouvernement de Ricardo Lagos a choisi d’intensifier la répression en utilisant les moyens employés sous la dictature de Pinochet et que son parti, le Parti socialiste chilien, condamnait à l’époque.

Ce gouvernement est le digne descendant des gouvernements qui au nom de l’état-nation chilien ont opprimé et marginalisé le peuple mapuche, qui ont développé un néo-colonialisme spécifique durant des décennies.

Ce gouvernement qui marginalise, qui exproprie, qui emprisonne et qui assassine est l’instrument d’un système où les multinationales imposent leurs volontés, il est l’instrument du néo-libéralisme.

Malgré sa politique répressive et le non-respect des droits des Mapuches, le gouvernement chilien de Ricardo Lagos se trouve en situation d’échec pour trouver une réponse à ces revendications.

La solidarité nationale et internationale avec les communautés mapuches doit s’organiser et se renforcer pour leur permettre de continuer de se battre contre la globalisation dont ils sont, au Chili, les premières victimes et contre laquelle ils sont les premiers résistants.

Daniel Pinós

L’Union européenne, le Chili et les Mapuches

Une campagne a lieu actuellement, menée par les organisations mapuches de différents pays européens, contre la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et le Chili. Les Mapuches expriment leurs profondes préoccupations pour les effets qui seront occasionnés par la mise en œuvre de l’accord de libre commerce entre l’Union européenne et le Chili.

L’existence et le développement durable des communautés indigènes est en jeu. L’augmentation des activités commerciales de la part des investisseurs et entreprises multinationales aura pour conséquence l’exploitation accrue des ressources naturelles. Les Mapuches dénoncent le manque de politique de protection des forêts et de l’environnement. Ce qui a produit une détérioration alarmante de l’écosystème et de la biodiversité du territoire ancestral mapuche. Ils dénoncent le fait que l’exécution de la totalité des projets d’infrastructures s’effectuent sans le consentement des communautés indigènes ; constatant que, dans la majorité des cas, l’exécution des projets contreviennent à la réglementation en vigueur sur le respect des droits des peuples indigènes.

Les Mapuches attirent l’attention des europarlementaires sur le fait que la mise en œuvre dudit accord, enfreindrait, dans les circonstances actuelles, les normes et les principes éthiques énoncés par l’UE. Les Mapuches sollicitent auprès des parlementaires européens que soit envoyée une mission au Chili pour enquêter sur la situation du peuple mapuche. Peuple qui enregistre les plus hauts indices de mortalité infantile, de chômage et d’analphabétisme, et dont l’espérance de vie est de dix ans inférieur au reste de la population chilienne. Un peuple qui continue à vivre la discrimination raciale et l’intolérance dans sa réalité quotidienne. Les Mapuches exigent que la violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples indigènes cesse. La détention indiscriminée de femmes, de vieillards et d’enfants et l’existence d’un nombre croissant de prisonniers politiques montre que le système judiciaire chilien n’offre aucune garantie aux prisonniers soumis à des procès devant des tribunaux militaires et sous des lois introduites durant la dictature du général Pinochet.

Après douze ans de démocratie, le gouvernement chilien se refuse à ratifier la Convention 169 sur les peuples indigènes et les tribunaux de l’Organisation internationale du travail de 1989. Le sénat chilien a rejeté la reconnaissance constitutionnelle des peuples indigènes, mettant ainsi en évidence le manque de volonté politique des autorités chiliennes pour solutionner un conflit en plein développement dans le cône sud de l’Amérique.


Pour soutenir la cause des Mapuches, il existe à Paris, une association animée par des compagnons anti-autoritaires :

Terre et Liberté pour Arauco,
2, rue Monge, 94110 Arcueil
Tél. : 01 49 12 92 11