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L’Horizon 2040 en compagnie de M. Ernest des Forges

Le jeudi 5 juin 2003.

Augmenter de 14 points le taux de cotisation pour la retraite (soit une variation annuelle de 0,34 point), ce qui correspond à 6 points de PIB. M. Ernest dit : « Non, si les charges sociales s’élèvent, mes coûts augmentent donc mon profit se réduira. »

Écoutez, mon cher Ernest, pour le savoir, il existe une démarche simple :

Oui ou non, y a-t-il eu en France une réduction progressive de la part des profits dans la valeur ajoutée des entreprises au fur et à mesure que le fameux « poids des charges sociales » s’accroissait ?

Entre les deux guerres mondiales, période de faibles cotisations, le poids du profit remarquablement stable correspond, en moyenne, à 33 % de la valeur ajoutée, la part salariale est donc de 67 %.

Depuis 1950, la part du profit, finalement assez stable, est en moyenne de 35 %.

La réponse imposée par ces faits est claire : l’envol des cotisations sociales n’a pas pesé sur les profits. L’élévation du salaire indirect s’est simplement accompagnée d’une baisse du salaire direct dans la valeur ajoutée.

C’est bien sur les salaires que pèsent toutes les cotisations. Mais M. Ernest vous dira : « Si vous observez des pays où les charges sociales ne sont pas écrasantes tels que les USA ou le Royaume-Uni, vous verrez bien que la part des profits y est évidemment supérieure à ce qu’elle est en France. »

Testons cette allégation.

Entre les deux guerres, le poids du profit dans la valeur ajoutée était en moyenne de 36 % pour les entreprises américaines et de 37 % pour les britanniques (33 % en France).

Depuis 1950, ces proportions ont baissé, 34 % outre-Atlantique, 31 % outre-Manche (35 % en France).

Le résultat du test est clair.

Il faut s’y résigner : les cotisations sociales refusent de peser sur les profits !

Mon cher Ernest, ce n’est pas une opinion mais un fait bien établi (données de l’OCDE).

L’invocation d’une contrainte économique de compétitivité pour refuser d’augmenter les cotisations sociales ne repose donc sur aucun argument scientifique.

La stabilité du pouvoir d’achat relatif des retraites et celle de l’âge de la retraite sont simultanément possibles grâce à une variation de 14 points du taux des cotisations (variation annuelle 0,34 point), ou 9 points si la réforme Balladur n’est pas annulée.

L’approche idéologique du gouvernement et du patronat les aurait évidemment conduits à déclarer en 1960 :

« D’ici à 2000, des irresponsables veulent augmenter de plus de 7 points le poids des retraites dans le PIB. Cette hausse de plus de 130 % coulerait nos entreprises. »

Et, pourtant, les retraites sont bien passées de 5,4 % à 12,6 % du PIB en quarante ans.

Les 7 points supplémentaires ont permis de faire reculer massivement la pauvreté chez les retraités, d’abaisser l’âge de la retraite de cinq années alors que l’espérance de vie à 60 ans augmentait de 5,3 ans.

Tout cela n’a pas empêché la part des profits dans la valeur ajoutée de devenir supérieure à partir des années 1990 à ce qu’elle était pendant les « Trente Glorieuses ».

Pour consolider la cohésion sociale, y compris entre les générations, il n’est pas anormal qu’un pays riche dont la population vieillit consacre progressivement une part plus forte du PIB aux retraités.

Mais l’on doit aussi améliorer l’équité du système. Car si les inégalités chez les retraités sont aujourd’hui du même ordre que chez les actifs, c’est en partie le résultat d’une illusion statistique : parce que les pauvres vivent nettement moins longtemps, leur poids est plus faible chez les retraités que chez les actifs.

Bien le bonjour à vous, M. Ernest des Forges.

Guy Hénocque, groupe Bakounine


Sources : Le Monde et OCDE