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éditorial du nº 1324

Le jeudi 12 juin 2003.

Ma concierge, qui est une femme pleine de bon sens, a coutume de dire que la vérité sort de la bouche des enfants. Eh bien, pour une fois, la vérité est sortie de celle d’un patron, qui, excédé, et c’est aussi fait pour ça, a déclaré sur une radio nationale à propos des actuels mouvements sociaux : «  C’est pas un problème de société, c’est un problème de force de frappe ! » À vrai dire, on peut difficilement résumer la situation autrement, sauf que, pour une fois, ce n’est pas le patronat qui frappe. Être d’accord avec un patron dans un éditorial du Monde libertaire est à marquer d’une pierre blanche, et ce numéro restera unique.

Le concept de grève préventive, tel qu’il se met en place dans le secteur des transports publics non touchés par le projet Juppé-Notat, euh Fillon-Chérèque, pardon !, a le mérite de l’originalité. Les États-Unis ont bien inventé l’idée de guerre préventive. Cette nouvelle forme d’action syndicale a non seulement le mérite d’être spectaculaire, mais elle a l’air, en outre, bougrement efficace. Les centrales syndicales, je ne parle pas de la centrale papiste du métro Belleville, ont vite compris l’intérêt qu’elles pouvaient en tirer. Savoir ne pas se faire déborder à gauche est un art consommé qui nécessite un long apprentissage, une pratique régulière, un entraînement constant. La CGT est depuis longtemps rompue à cet exercice vital pour elle. Les relents que l’on a pu sentir lors de la manifestation du 3 juin dernier à l’encontre de la Fédération anarchiste montrent bien qu’il n’y a pas d’anciens staliniens mais que, surtout, la gauche a une peur panique de tout ce qui pourrait troubler sa supposée hégémonie. Il faut nourrir et abreuver les permanents, conserver le leadership pendant la négo, rester un interlocuteur privilégié, recruter, populariser. Tout ce programme s’accorde bien mal d’une base remuante, indisciplinée dont une des jubilations, et on la comprend, serait de ramasser des bureaucrates à la pelle. L’heure n’est plus à se demander ce que le syndicalisme pourrait bien faire pour nous autres, mais bien de nous demander ce que nous pourrions faire pour lui. La thatchérisation de nos institutions s’accélère. Si nous cédons sur les retraites aujourd’hui, demain, ce sera sur la Sécurité sociale. Les fonds de pensions pour les retraites, c’est la même chose que les compagnies d’assurance pour la maladie ; un arrêt de mort de la mutualité, du mutualisme et de la solidarité. C’est toute la protection sociale qui est volontairement menacée et qui risque à tout moment de voler en éclats, toute une protection sociale construite depuis des années à coups d’amendement, de décrets, de lois mais aussi parfois à coups de pavés. Et ce qu’un coup de pavé a fait, un coup de pavé peut le refaire…