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Du Vaaag à l’âme

Le jeudi 12 juin 2003.

Nous sommes dans le dernier trimestre de l’année 2002 lorsque des initiatives françaises sortent des cerveaux collectifs de plusieurs groupes. On peut compter entre autres celle de la Claaac G8 et celle du Vaaag, village anticapitaliste et anti-guerre sur l’initiative du réseau No Pasaran. No Pasaran invite large (des milieux trotskistes, écologistes, etc.) pour les premières réunions mais la rupture est inévitable. Effectivement, sous prétexte d’unité, de la nécessité de créer un front commun, de ne pas apparaître comme de vilains petits sectaires, plusieurs organisations et mouvements refusent de se prononcer pour un réel anticapitalisme et refusent une rupture avec la gauche institutionnelle.

Anticapitaliste et en rupture avec la gauche institutionnelle

Le refus de se positionner clairement de manière anticapitaliste consiste à défendre implicitement que le capitalisme peut se réformer et être « humain ». De la même manière nous verrons régulièrement dans les débats du Vig (village inter-galactique, rassemblant Attac, la LCR et l’ensemble de la gauche institutionnelle) un souci de réformer le G8 de l’élargir… La Claaac, de son côté, affirmait dans une conférence de presse juste avant le 28 mai :
« Non seulement nous contestons la légitimité de ce sommet, mais aussi la légitimité de chacune de ses composantes. Les chefs d’état, même “démocratiquement” élus, ne représentent pas les intérêts ni les aspirations de ceux et de celles qui les ont portés au pouvoir, mais ceux des puissances financières qui leur permettent de s’y maintenir. Le système capitaliste et son corollaire le salariat ne peuvent être réformés… »

Cette rupture n’est pas le résultat d’une pratique sectaire, du refus du débat, mais d’un besoin de clarté au risque de revivre les illusions du communisme autoritaire ou de la social-démocratie. Et que dire de Lula qui, après s’être rendu à Porto Alegre, accepte l’invitation de Chirac au G8 afin de proposer la création d’un fonds contre la misère et la famine en taxant les ventes d’armes !

Deuxième point de rupture : les mouvements altermondialistes refusent une réelle rupture avec le capitalisme et donc avec les organismes, institutions et partis politiques le gérant. Or il est impossible d’ignorer la volonté hégémonique de la gauche classique. Les luttes, que ce soit au niveau social, sur les retraites, etc., des sans-papiers, du nucléaire, etc., doivent se mener de manière autonome, sans rattachement avec les enjeux politiciens, les enjeux de pouvoir et de stratégies et d’échéances électorales. L’autonomie des luttes est une nécessité ! Et comment ignorer l’objectif (récupération, flirt électoral, etc.) du PS quand il souhaite organiser un forum sur la mondialisation à Annemasse (lieux d’implantation des villages) en invitant les pontes de la sphère associative (Attac, Cedetim, etc.). Que leur meeting, qui tentait par la même de faire une véritable OPA médiatique dans un premier temps sur ce qu’il se passait dans la région, soit annulé par l’intervention et la forte présence des anarchistes dans la ville est en soit une petite victoire.

Le Vaaag, une alternative en acte

Le pari n’était pas mince : créer un espace autonome de réflexions et d’actions, créer un lieu autonome qui puisse devenir un véritable espace de convergence des résistances. Pari réussi en grande partie comme le prouve les témoignages qui suivent. Certes, il ne faut pas faire de cette expérience une image idyllique, mais elle fut très riche. L’expérience autogestionnaire ne fut pas complète, et certaines personnes ne se sont pas impliquées et ont vécu le lieu en consommateur ou consommatrice. De même, l’implication parfois énorme dans la gestion quotidienne et logistique du village nous a parfois empêché de participer aux débats, aux échanges politiques, etc. Néanmoins, nombre d’espaces ont été le fruit d’expériences collectives (avec ses assemblées générales, la rotation des tâches et des mandats, l’élaboration collective de projets d’aménagements ou d’actions, etc.) comme les quartiers/barrios avec leurs cantines, les espaces accueil/sérénité, etc. Les prix libres (on paye en fonction de ses moyens) n’ont pas entraîné de déficit particulier. Les débats furent permanents, de ceux organisés sous les chapiteaux et qui réunissaient au minimum une petite centaine de personnes à ceux qui naissaient spontanément autour de pluches, de la vaisselle ou d’un repas…

Action directe

Le Vaaag a donc naturellement été un lieu d’émergence d’idées et de mises en place d’actions. Un débat permanent (qui mériterait à lui seul de nombreuses pages) existait sur la question de la violence, sur sa légitimité, sur le regard médiatique, etc. Un consensus arrivait parfois à émerger :
— Reconnaissance des diversités tactiques, mais les personnes doivent s’auto-organiser sans impliquer des personnes venues d’une manière pacifique (pas de mise en danger d’un cortège pacifique par exemple).
— La violence (blocage, occupation, etc.) est d’autant plus légitime qu’elle est portée collectivement, par un réel mouvement et non pas le fruit d’une avant-garde éclairée. Le mouvement social sur les retraites en est le parfait exemple : après un mois de manifestation dans la bonne humeur sans rien donner (même pas l’amorce d’une fausse négociation), l’action directe, visant le blocage partiel du système, arrive à l’ordre du jour.

Les actions hors du village furent donc multiples : le 29 mai, manifestation festive et d’autodérision à Annemasse ; le 30 mai, manifestation à Genève (passage en train gratuit, sans montrer ses papiers à la frontière) qui se termine par une occupation partielle du siège de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) ; le 31 mai, actions contre le meeting du Parti socialiste ; le 1er juin, à l’aube, action de blocage visant à ralentir, à désorganiser le sommet : en cherchant entre autres à empêcher des délégations, le personnel, les traducteurs à se rendre à Évian, le 1er juin, manifestation de la Claaac. Et on ne cite pas toutes les actions à Genève ou Lausanne.

Même si les forces de l’ordre avait des consignes particulières afin d’éviter la bavure comme à Gênes, la police était là pour sécuriser, pour maîtriser. C’est ainsi que les contrôles furent multiples, qu’en Suisse plusieurs centaines d’arrestations sont à déplorer, des blessés graves, etc. On en reparlera…

Malgré tout, le Vaaag a été une forte expérience et que l’on n’est pas prêt d’oublier et, le vaaag à l’âme, on l’a au retour car on se sent seul, on recherche ces espaces permanents de convivialité, de débats… comme le prouve aussi les extraits des témoignages qui suivent.

Théo Simon