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Nom propre

Le jeudi 3 novembre 2005.

Nous faisons du travail la finalité de notre vie, engageant notre matière dans un défi contre nous-même, contre les pollutions intérieures qui pourraient nous détourner de ce chemin aride et sans avenir pour l’homme. Nous dirons aussi que, selon certaines sources bien déformées, travailler apporte réconfort, sécurité, ouverture et distraction. Mais il arrive, et ce n’est pas l’époque actuelle qui le démentira, encore moins celles qui l’ont précédé, que le travail ne soit qu’une décision unilatérale de formater les êtres en vue de leur ôter toute envie, toute possibilité physique et intellectuelle de se consacrer à eux-même plutôt qu’à la satisfaction de quelques-uns. Serait-il présomptueux ou inconvenant de dire que l’homme a fait une grande erreur en prônant la production de biens comme but ultime de notre existence avec toutes les conséquences humaines, terrestres et naturelles que cela engendre, ?! Le travail ne sert à rien sauf à déshumaniser l’homme, à lui ôter sa soif de vivre, à le rendre dépendant d’autrui et de choses superflues.

Le travail dans sa conception libérale, marxiste ou économique, est un non-sens pour l’humanité. Il est ce qui forge son malheur et le précipite dans l’inconcevable et l’absurde. Le monde est absurde parce qu’il travaille. Le monde est inconcevable par ce qu’il produit. Alors renonçons au travail ! De celui-ci, mais pas de celui-là qui est le travail sur nous-même, pour nous-même, sur notre propre créativité ! Cela ne nous empêchera pas de fabriquer du pain, un toit, un outil ou un vêtement, n’est-ce pas !? Notre intelligence nous a prouvé que nous savions nous surpasser, mais qu’avons-nous fait de notre sensibilité et de notre enthousiasme, de notre adaptabilité et de notre résistance à créer ? Nous laisserions-nous mourir de faim sous prétexte que le travail aurait été aboli ? Il faut dire que le pouvoir gère au mieux de ses intérêts les tentatives qu’auraient les hommes à se laisser envahir par ces pollutions intérieures que sont nos sens. Il ouvre quelquefois la boîte pour laisser s’échapper quelques fumerolles, mais ce qui vient jusqu’à nous a un parfum des plus légers, des plus fragiles, des plus futiles et des plus compromettants pour notre lucidité. Il n’y a pas de temps passé heureux, et il n’y aura pas de temps futur paradisiaque. Nous ne respirons plus, nous ne dormons plus, nous ne mangeons plus de manière naturelle. Cette dégradation de notre vie est sans cesse montrée, démontrée, affichée, scandée par les uns et les autres.

L’art n’est pas tout mais il n’est plus rien. Il nous reste à relever ce défi qui est certainement tout autre que celui auquel veulent nous attacher les partisans de la logique économique. Contre eux, il n’existe pas mille formes de lutte, mais simplement deux : la résistance et la révolte. La résistance est celle de notre être, de notre matière, de tous nos sens. La vie future ne peut être celle d’aujourd’hui, mais doit tendre vers la satisfaction de notre créativité qui peut prendre bien des formes. Elle n’a pas uniquement pour but de devenir un art, d’être Part, ce serait à la fois inconsidéré et absurde. L’art est un palier dans la création mais il n’est pas la finalité de l’homme. Tout au plus est-il cette forme de résistance qui, actuellement, procède par à-coups, par audace, par tempérament mais silencieusement. Notre résistance est donc avant tout créatrice et elle n’est pas dans les discours ou les manifestations car pour être efficace, elle doit être permanente. Quant à la révolte, elle ne sera jamais qu’une fabuleuse journée pleine d’espoirs et d’enthousiasme si rien ne vient l’aider à instaurer une vie créatrice, si la règle demeure celle de la production, de la satisfaction des besoins. Une vie créatrice suscite un renversement totale de la pensée, une reprise totale du corps, une conversion totale de notre être. Voir la vie autrement, c’est lui donner le sens de la création, de la gratuité, de l’échange, de l’anonymat. Sans aucun doute, certains verront là une utopie, une fabulation de la vie, mais il est une chose sur laquelle nul ne peut disconvenir : la satisfaction de l’être par des biens matériels n’a jamais jusqu’à présent rendu l’homme plus heureux et plus humain. Au contraire, n’a-t-il pas perdu ce besoin de fraîcheur, de spontanéité, de frivolité et son aigreur est égale à sa pauvreté, sa rancune est synonyme de sa solitude, son mépris est multiple de sa jalousie ?!

Sa voie est ailleurs, car la finalité de l’homme est de toujours garder à sa portée la possibilité de témoigner de son œuvre, d’être en parfaite harmonie avec ce qu’il crée, non dans un sens divin ou messianique, mais en ce qu’il sert autant lui-même que n’importe quel autre humain. Sa finalité doit jaillir de sa perception émotionnelle, et comme nom propre, il doit porter celui d’homme.

Jean-Michel Bongiraud