Accueil > Archives > 2006 (nº 1421 à 1459) > 1431 (23-29 mars 2006) > [Plus loin ensemble]

Plus loin ensemble

Le mercredi 22 mars 2006.

Le CPE, nous expliquait Villepin, vise « ceux qui ont le plus de difficultés » (comprendre : les cancres, les moins-que-rien, les jeunes de banlieue, la jeunesse ouvrière et précaire) et « n’a pas vocation à se substituer aux autres contrats » (comprendre : la jeunesse favorisée n’a rien à craindre).Villepin se veut rassurant vis-à-vis de la jeunesse diplômée, celle qui bougerait par « malentendu ». Une tentative de division, ou plus exactement l’expression d’une crainte de voir entrer dans la danse contestataire les lycéens et toute cette jeunesse « en difficulté » qui, si elle n’a pas un avenir à défendre, peut se révéler déterminée et offensive.

La jonction entre étudiants et lycéens est un danger pour le pouvoir, et la « gestion de cette crise » peut s’avérer alors compliquée pour lui. Une division tombe et la rue devient plus forte. Lors des émeutes en banlieues, une division fut maintenue, dès lors l’émeute était amenée à se consumer puis à s’éteindre. Il en sera de même du mouvement étudiant s’il reste isolé. Avec le renfort lycéen le mouvement prend une autre ampleur, tout en restant un mouvement de jeunesse dont l’arme de la grève, de l’occupation et de l’agitation n’a que peu de capacité de nuisance sur l’essentiel : l’économie.

L’autre jonction — avec les travailleurs — ouvre une nouvelle dimension qui inquiète le gouvernement autant que les politiciens de gauche et les bureaucraties syndicales. Ils jouent avec le feu social, mais en pariant que bien encadré, contrôlé et manoeuvré ce mouvement est un possible tremplin électoral pour 2007.

Les anarchistes, là où ils le peuvent, oeuvrent à cette jonction étudiants-lycéens-travailleurs, qui, si elle se faisait massivement, poserait de fait la question de l’indispensable affrontement avec l’État, la bourgeoisie et le patronat. Il serait toujours question du CPE, mais aussi du CNE, de la sécu, des retraites, du droit au logement, des lois anti-immigrés.

Si l’on s’en tient à la contestation du seul CPE, nous restons limités par une absence de perspectives alors que pourtant nous sommes forts. Ce n’est pas le tout d’être fort, encore faut-il savoir ce que l’on fait de cette force. Et il faut bien à un moment sortir du cadre, déborder les syndicats, déborder la revendication unique. Ou alors on se condamne à « s’éclater » quelques jours en attendant que politicards et bureaucrates sifflent la fin de la récréation !

« Avec le CPE, je ne veux pas après cinq ans d’études finir caissière. Je ne suis pas un déchet. »

C’est ainsi que s’exprimait une étudiante lors d’un journal télévisé. Un mépris de classe, tellement naturel… Et un constat, si la jonction entre étudiants et notamment les lycéens et la jeunesse des banlieues est nécessaire, il est évident que nous avons là deux mondes différents.

Quels points communs entre ces jeunes étudiants inquiets pour leur avenir et ces jeunes de banlieues qui sont persuadés qu’ils ne sont rien, que leur avenir c’est des boulots de merde… à vie !

Quel ralliement possible entre ceux qui sont intégrés culturellement, socialement, économiquement et les autres qui sont dépossédés de tout ?

Dans la réalité du quotidien, rien n’autorise que ces mondes se rencontrent, se comprennent vraiment. C’est une réalité de la société de classes. Dans le moment de la lutte un espace rare de rencontre et de confrontation existe.

À chacun de questionner, de se questionner sur sa place et son rôle dans cette société. Aux anarchistes de proposer et de mettre en débat d’autres futurs, d’autres possibles. À nous de proposer une société sans bourgeoisie ni prolétariat, une société égalitaire. Et l’on ne manquera pas de nous dire que là nous allons trop loin.

C’est justement là où nous voulons aller.

Laurent, groupe libertaire d’Ivry. Contact : faivry@no-log . org