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Paul Avrich, 1931-2006

Le jeudi 2 mars 2006.

Paul Avrich est mort à New York le 17 février 2006 au matin. Depuis quelques années, il était frappé de cette sale maladie qui s’en prend à la conscience et à l’intellect de nos anciens.

D’une famille juive originaire d’Odessa, il avait pu aller aller étudier en URSS grâce à la visite aux États-Unis de Nikita Khrouchtchev, en 1959, qui n’avait pas seulement tapé du pied mais aussi autorisé des échanges d’étudiants. C’est là que Paul, travaillant à sa thèse (The Russian Revolution and the factory committees, 1961), découvrit l’insurrection de Kronstadt et le rôle des anarchistes dans la révolution. Il en tirera plusieurs ouvrages, controversés mais pionniers. Et en retirera une affection et une solidarité jamais désavouées pour les anarchistes : pour les personnes, plus que pour l’engagement militant.

C’est ce qu’il chercha à enseigner aux étudiants du Queens College de New York, durant toute sa vie active et malgré l’opposition initiale des autorités universitaires ; le développement aux États-Unis des recherches historiques sur l’anarchisme est sans doute partiellement du aux « belles histoires de l’oncle Paul ». Il n’aimait en effet rien tant que raconter, et faire parler ses interlocuteurs : il n’était pas de la génération qui a appris à combiner histoire, sociologie et anthropologie. Mais aussi il lisait sans difficultés la plupart des langues européennes, y compris le russe et le yiddish, ce qui donne une belle ampleur à ces récits.

Après les anarchistes russes, il s’est lancé dans une grande histoire du mouvement anarchiste aux États-Unis, par chapitres thématiques : Voltairine De Cleyre d’abord, puis les Écoles modernes inspirées de Francisco Ferrer, la tragédie de Chicago en 1886, Sacco et Vanzetti, les anarchistes juifs, les immigrés et réfugiés. Son dernier ouvrage important réunit deux cents interviews menées pendant près de trente ans, « source d’une valeur incomparable pour les futurs chercheurs […] Mais l’histoire orale ne remplace ne remplace pas l’histoire conventionnelle, qui doit être attestée par des documents écrits […] La mémoire est souvent lacunaire et des erreurs interviennent », écrit-il dans la préface à ces « Voix anarchistes » assorties de centaines de notes et d’un gigantesque index. Il a permis que ces militants, « anonymes » pour la plupart, ne tombent pas dans l’oubli, et ouvert des pistes à d’innombrables recherches et réflexions.

Paul Avrich a été un fidèle ami du CIRA, contribuant généreusement à ses finances et à ses collections (lors d’un de nos derniers contacts, il a soutenu la publication en russe de Voline et offert une préface). Il a été un fidèle ami des anciens du mouvement, les mettant en contact les uns avec les autres, suivant leurs réunions, faisant des visites régulières — et les voyant disparaitre les uns après les autres. Sans lui, la mémoire du mouvement se serait perdue en grande partie.

Marianne Enckell


Principaux ouvrages de Paul Avrich :

  • The Russian anarchists. Princeton University Press, 1967 ; rééd. 1978 (Les Anarchistes russes ; trad. Bernard Mocquot. Paris : Maspéro, 1967 ; autres trad. en japonais, espagnol, italien).
  • Kronstadt, 1921 Princeton University Press, 1970 (La Tragédie de Cronstadt, 1921 ; trad. Hervé Denès. Paris : Seuil, 1975 ; autres trad. en espagnol et tchèque).
  • Russian rebels, 1600-1800. New York : Schocken books, 1972.
  • The Anarchists in the Russian Revolution. New York : Cornell University Press, 1973 (Gli Anarchici nella rivoluzione russa ; trad. Michel Buzzi. Milano : La Salamandra, 1976).

L’Histoire du mouvement anarchiste aux États-Unis, aux presse de l’université de Princeton : An American anarchist : the life of Voltairine de Cleyre, 1978. The Modern School movement : anarchism and education in the United States, 1980. The Haymarket tragedy, 1984. Anarchist Portraits, 1988. Sacco and Vanzetti, the anarchist background, 1991. Anarchist voices : an oral history of anarchism in America, 1995.

Merci à Federico Arcos de m’avoir rappelé quelques repères biographiques après m’avoir transmis la triste nouvelle.