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L’Étranger, voilà l’ennemi !

à propos de la circulaire du 21 février 2006
Le jeudi 11 mai 2006.

En 1945, la France libérée récemment du joug nazi n’avait pas d’autre priorité que de prendre des dispositions restrictives par une loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France. Ce texte, d’inspiration policière, fragilisait au passage de nombreux combattants étrangers de la MOI (Main-d’œuvre immigrée), lesquels n’avaient pas demandé l’autorisation de lutter aux côtés des premiers résistants de ce pays, dans la guérilla urbaine comme dans les maquis, mais ceci est une autre histoire. Depuis, ce texte a été maintes fois complété et rendu plus répressif.

La réforme de la loi CESEDA (Code d’entrée et de séjour des étrangers en France et au droit d’asile), prévue par une circulaire signée par Nicolas Sarkozy et Pascal Clément (ministre de la Justice), le 21 février 2006, était en débat à l’Assemblée nationale entre le 2 et le 5 mai dernier. Ce texte n’a qu’une finalité : fixer « les conditions de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière, garde à vue de l’étranger en situation irrégulière et les réponses pénales » appropriées.

En clair, la possibilité d’arrêter et d’expulser un maximum d’étrangers en rendant légales des pratiques illégales. Il faut bien respecter les quotas d’expulsions fixés par le ministre de l’Intérieur. Bien entendu, les préoccupations électoralistes ne sont pas étrangères à cette nouvelle manifestation de xénophobie.

La France des Droits de l’homme n’a jamais été véritablement câline avec ceux qui sont qualifiés d’étrangers. La vindicte témoignée envers les êtres humains venus d’ailleurs est suffisamment significative pour bien faire comprendre à tous les « Bougnoules » qu’ils ne sont pas les bienvenus dans notre pays. Jadis, au temps de la IIIe République, les « Ritals » et les « Polaks » étaient accusés de manger le pain des Français, mais également de débaucher leurs filles, tout en encombrant les hôpitaux et les prisons.

Après la grande crise de 1929, la volonté est forte de mener la vie dure à ces étrangers qui encombrent « notre » sol, au lieu de se faire oublier au fond des mines de charbon (les Polonais) ou dans les entreprises de sidérurgie (les Italiens). En août 1932, une loi, promulguée par Édouard Herriot, limite à 5 % le nombre d’étrangers autorisés à travailler pour certains établissements publics, chantiers ou même ateliers. En 1934, le président du Conseil, P.-E. Flandin, prépare des mesures d’expulsion par la force des étrangers dont les papiers ne sont pas en règle. Environ 3 000 étrangers seront frappés par cette loi dont les effets se feront sentir durant les premiers mois de 1935. Cette même année, un gouvernement présidé par Pierre Laval signe un décret prévoyant des peines de six mois à deux ans de prison pour les expulsés qui se risqueraient à revenir en France.

Les décrets-lois Daladier, du 2 mai 1938, prévoient tout à la fois la mise en place de quotas d’étrangers dans les entreprises et la création d’une police des étrangers. De façon prémonitoire, le militant antifasciste André Ferrat prévient : « Le futur dictateur fasciste n’aura qu’à étendre les pouvoirs actuels de la police des étrangers à tous les citoyens, et les libertés françaises ne seront plus qu’un souvenir ! » À la fin de l’année 1938 est évoquée l’ouverture de camps de concentration pour certains immigrés. En 1939, alors que la guerre menace, le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, pète les plombs, en éructant : « Il faut débarrasser la France de la tourbe étrangère ! » Lesquels étrangers ne sont autres que des Allemands qui ont fui le nazisme, et les réfugiés espagnols entrés en France en janvier et février 1939. En octobre 1939 et en mai 1940, la France républicaine décide l’internement des ressortissants allemands et autrichiens, presque tous juifs et antifascistes.

Le décret scélérat du 2 mai 1938 n’a pas oublié les citoyens français qui se seraient montrés solidaires des étrangers persécutés : « Tout individu qui, par aide, directe ou indirecte, aura facilité l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger, sera puni d’une peine d’amende ou de prison. »

En septembre 1940, dans le droit fil de la politique conduite depuis une décennie, le gouvernement de Vichy promulgue une loi sur « les étrangers en surnombre dans l’économie française ». Rapidement, 40000 travailleurs étrangers sont internés dans les camps de la zone sud et livrés au travail forcé. Nous savons ce qu’il en sera durant les quatre années suivantes du sort de ces étrangers, et plus particulièrement des juifs vivant dans ce pays…

Depuis le premier choc pétrolier de 1973, les lois anti-immigrés n’ont cessé de se multiplier. En 1974, Michel Poniatowski proclame « l’immigration zéro ». Vont suivre, en 1978 et 1979 les lois Stoléru et Fontenet qui, peu à peu, vont encadrer les conditions d’entrée sur le territoire français des travailleurs colorés dont la France ne veut plus. En janvier 1980, c’est la loi Bonnet qui renforce le contrôle du séjour des immigrés, les étudiants étant particulièrement menacés. En janvier 1981, une loi Peyrefitte va aggraver une législation déjà lourdement répressive.

Après le répit de l’été 1981, avec la régularisation de dizaines de milliers de travailleurs étrangers, la répression reviendra rapidement à l’ordre du jour. Les lois Pasqua de 1986 transforment de nombreux immigrés en clandestins. Dans le même temps, le droit d’asile commence à ressembler à ne peau de chagrin. En mai 1988, de retour au pouvoir, la gauche renonce à abroger les lois Pasqua. En 1989, Michel Rocard nous explique tranquillement que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Pour ne pas être en reste, c’est un ministre socialiste, Philippe Marchand qui, en 1991, banalise la pratique de l’enfermement des étrangers sans papiers dans des centres de rétention administrative.

Parallèlement, la pratique des expulsions par charters va entrer dans les mœurs démocratiques : 55 Zaïrois en 1985 (sous Fabius), 101 Maliens en 1986 (sous Pasqua). En 1993, de retour au ministère de l’Intérieur, Charles Pasqua fait voter de nouvelles lois répressives sur l’immigration. En 1995, c’est Jean-Louis Debré qui aggrave cette législation. Les centres de rétention se multiplient, et la chasse aux sans-papiers se durcit.

En juin 1997, la gauche est de nouveau au pouvoir mais, malgré les promesses du candidat Jospin, les lois Pasqua-Debré ne sont pas abrogées. Bien au contraire, une circulaire de Jean-Pierre Chevènement fragilise plus encore les sans-papiers. Ce sera rapidement le refus de régulariser 60 000 de ceux qui ont été incités à se déclarer dans les préfectures. En octobre 1999, une nouvelle circulaire Chevènement rend encore plus délicate la situation des sans-papiers. Lionel Jospin conforte cette politique d’exclusion en montrant du doigt ceux des étrangers, « qui n’ont pas vocation à rester en France ».

Au travers du petit jeu de l’alternance droite-gauche, le pire a toujours été possible. C’est ainsi que les lois Sarkozy de 2002, 2003 et 2006 ne font que prendre la suite des lois édictées par Chevènement, en 1997, et Daniel Vaillant, en 2001. Avec la circulaire du 21 février 2006, c’est tout un pans des droits de l’homme qui va être détruit. Nicolas Sarkozy, qui n’a pas peur de se salir la bouche, parle d’une immigration « subie », qui polluerait le pays. D’où sa volonté de promouvoir une immigration « choisie », parmi des hommes et des femmes à qui l’on refuserait pourtant un minimum de droits, tout en leur imposant un maximum d’obligations.

La circulaire du 21 février 2006 va bien plus loin puisqu’il est prévu d’en terminer avec la régularisation automatique des étrangers après dix ans de présence en France. Ce qui ne va pas manquer de créer de nouveaux clandestins. L’obtention de la carte de long séjour, valable dix ans, fera désormais l’objet de nombreuses difficultés ; la délivrance de ces cartes dépendant désormais du pouvoir discrétionnaire de l’administration. En cas de licenciement, les cartes de séjour temporaire pourraient être retirées. Il en irait de même des malades en cours de soins, si un traitement était jugé possible au pays d’origine.

Témoignant de leur volonté de faire le tri entre les bons étrangers et les autres, Nicolas Sarkozy et Pascal Clément ont décidé la création d’un titre de séjour de trois ans qualifié « compétences et talents », qui serait attribué aux étrangers « susceptibles de participer au développement de l’économie française ». Ce qui, en creux, rappelle étrangement la loi de Vichy de septembre 1940.

Dans les faits, la circulaire du 21 février 2006 est déjà appliquée car pour les préfets et les policiers la seule lettre de ce texte fait force de loi. Les expulsions n’ont cessé de se multiplier depuis le début de cette année. Ces mesures frappent également de nombreux enfants scolarisés, en principe non expulsables avant la fin de leur cursus secondaire. Mais, c’est bien connu, ma main droite doit ignorer ce que fait ma main gauche.

Maurice Rajsfus