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Lecture

Cet étrange Monsieur Bourseiller

Le jeudi 4 décembre 1997.

Dans un précédent Monde libertaire, un camarade, visiblement mal au fait du syndicalisme français et de son histoire, a cru bon de faire une note de lecture favorable à un livre intitulé : Cet étrange Monsieur Blondel, commis par un dénommé Bourseiller.

Situons d’abord l’auteur. Christophe Bourseiller, surtout connu pour ses seconds rôles au cinéma, avait déjà produit un livre en 1989 intitulé : Les Ennemis du système. Son postulat de base était résumé ainsi dans la jaquette de présentation : « ils sont environ 20 %, ces français contestataires, près à rejoindre les courants extrémistes pour tout changer et balayer le système, au prix de la violence s’il le faut. Localisés aussi bien à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche, on les retrouve lors des élections (1988 : 15 % pour Le Pen) ou lors des grèves de la Fonction publique animées par des militants révolutionnaires ».

Le parti pris de Bourseiller était donc clair, peu original et en disait long sur la clarté de sa pensée politique : les extrêmes se rejoignent, c’est bien connu.

Sans nous attarder sur les multiples approximations, erreurs grossières, contre-vérités qui émaillaient déjà ce bouquin concernant telle ou telle organisation (le chapitre sur la LCR intitulé « des adeptes de la transparence », vaut son pesant de cacahuètes), citons un passage sur ce qui était dit sur les anarchistes. Page 84, dans le chapitre « les Archipels anars », Bourseiller, après avoir mentionné un certain nombre d’organisations et de journaux anarchistes, écrit sans aucune précaution ni nuance d’aucune sorte : « nous ne saurions terminer cette liste sans évoquer les amis du socialisme français et de la commune, représentant un courant libertaire d’extrême droite. Il ne font que renouer avec les tendances libertaires et nationalistes qui existaient en France au début du siècle. » Chacun appréciera son sens de la rigueur historique.

Accorder le moindre sérieux, le moindre crédit ni même la moindre bonne foi à ce genre de personnage est impossible et on voit mal pourquoi on lui ferait davantage confiance aujourd’hui, sous prétexte que l’essentiel de son bouquin vise Blondel et les trotskistes lambertistes.

La précédente note de lecture avait relevé un « élément troublant » (?) qui semblait prouver, selon son auteur, la validité de l’argumentation « bourseillère ». En 1965, Blondel est nommé secrétaire de la Fédération des employés et cadres. Ce qui est vrai. Or dit Bourseiller : « des réunions du Comité central de l’OCI se seraient tenues au siège de cette fédération. »

Confusion des genres… genre de la confusion

Sans revenir sur les conditionnels qui deviennent systématiquement affirmations quelques pages plus loin, notons qu’à cette époque Maurice Joyeux, militant historique de la Fédération anarchiste, animait par ailleurs un syndicat de cette même fédération. Maurice Joyeux était-il un compagnon de route des lambertistes comme l’affirme en toutes lettres de façon invraisemblable et scandaleuse Bourseiller ?

De même, affirmer que les trotskistes contrôleraient cinq fédérations et quinze UD de FO relève de la manipulation. Il est vrai que les oppositionnels droitiers au sein de FO le prétendent.

Mais ils le font sciemment pour agiter le spectre bolchevique à la face des médias. Doit-on nous aussi nous vautrer dans cette pratique de l’anathème, d’autant que certains d’entre nous se trouvent à l’occasion qualifiés de trotskistes ?

Oui, il y a des trotskistes à FO, comme il y en a à SUD, à la FSU, à la CGT, à la CFDT ou même à la CNT… mais il y a fort à parier que Bourseiller ne mènera pas d’enquête sur eux…

Car le fond du problème est là, et c’est une faute politique grave de ne pas le comprendre. Ce livre est un bouquin de commande, autant parce qu’il touche à Blondel, personnage médiatisé susceptible de faire vendre, que pour la pression que certains souhaitent exercer sur l’orientation de Force ouvrière. En novembre-décembre 1995, un tombereau d’injures et de menaces, de l’extrême droite (Quotidien de Paris, Présent, Minute…) à la gauche bon chic-bon genre (Libération, Le Nouvel Obs, Le Monde…) s’est abattu sur Blondel et sur FO. Les fonds secrets de Matignon ont encouragé, à cette occasion, certains chieurs d’encre à diffamer, calomnier à tout va, quitte ensuite à être condamnés en justice. Ce qui a été fait pour Le Quotidien de Paris ou Capital par exemple.

Un livre « commandé »…

C’est que la mobilisation FO/CGT, impulsée d’ailleurs par la base, menaçait le plan Juppé/Notat. L’enjeu était de taille et dans ces cas là tous les moyens sont bons pour discréditer l’adversaire du pouvoir.

Deux ans plus tard, la problématique n’est guère différente pour la « gauche plurielle ». Elle doit faire passer coûte que coûte sa politique de régression sociale, imposée par les critères de Maastricht.

Difficile de le faire durablement avec la seule CFDT. On l’a bien vu lors du conflit des routiers. Cela serait tellement plus simple si FO avait l’échine plus souple… Nul doute que les médias ne tariraient pas d’éloges sur les positions réalistes de Blondel et que Bourseiller se désintéresserait pour longtemps des trotskistes de FO.

Nous sommes prêts, quant à nous, à participer à tout débat sérieux pour dénoncer les manipulations orchestrées dans les syndicats tant par les trotskistes que par toute autre organisation.

Il ne s’agit pas de pratiquer le culte de la personnalité, ni le patriotisme d’organisation, mais de constater le chemin parcouru et de savoir que le mouvement social aurait beaucoup à perdre si la confédération Force ouvrière reniait son indépendance pour emboîter le pas au syndicalisme d’accompagnement de la CFDT.

Fabrice Lerestif, Jean Hédou, Wally Rosell