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Sida

L’Injustice médicale

Le lundi 7 juillet 1997.

Le sujet des sidéens incarcérés est peu évoqué. Les témoignages sont rares. De plus, l’univers carcéral est le plus souvent ignoré de l’opinion publique sauf, à l’occasion d’émeutes, d’évasions ou de faits divers. À part cela, la population pénale n’existe pour personne et nul ne se préoccupe vraiment de nous. Les malades incarcérés vivent doublement cette exclusion.

J’ai un sida déclaré. Je n’ai plus que 50 T4 et tente de survivre avec la tri-thérapie. Il a été dit par un président de la république, en 1974, que « la prison, ce ne doit être que la privation de liberté ». Hélas ! nous savons que ce n’est pas vrai. Les privations élémentaires (nourriture, hygiène, travail) sont autant de souffrances qui peuvent mettre en danger la santé des individus, et les malades du sida, en particulier.

Pour un séropositif et un sidéen, l’alimentation et la nutrition sont importantes. En prison, il est impossible de bénéficier d’un choix d’aliments. L’occasion d’avoir un apport conséquent en vitamines variées est restreint.

En prison, il est difficile de se préparer ce que l’on veut. La cuisine est collective. Elle est faite pour un nombre important de personnes. Je vous laisse imaginer la qualité tant gustative que nutritionnelle. L’amélioration, qui peut être apportée par la « cantine », ne m’est pas réservée puisque je suis très peu assisté.

L’ordinaire étant ce qu’il est, je suis obligé de supporter cette déficience alimentaire avec les conséquences que cela entraîne pour ma santé en tant que malade du sida. Il est possible d’avoir une prescription de Renutril® (complément alimentaire en boîte). Mais, au bout de quelques semaines, vous arrivez à saturation, et vous ne pouvez plus avaler une boîte.

L’alimentation est un gros problème, en prison. Il n’est pas rare de subir des intoxications dues aux produits de mauvaise qualité. Ce qui, pour un détenu malade, peut être criminel… Il faudrait une réelle mise en place de menus adaptés aux malades du sida, qu’ils soient riches en vitamines et, surtout, d’une fraîcheur au-dessus de tout soupçon.

En revanche, il est difficile, aujourd’hui, de dire que nous soyons mal soignés. Le service médical est très compétent. Et les infirmières se donnent au maximum pour les malades. Je suis suivi régulièrement par un médecin du CISIH (spécialiste de sida). Je reçois mon traitement régulièrement.

Cependant, quelques difficultés existent quant au temps et à la manière de dispenser les soins. À l’extérieur, le moindre « bobo » peut-être vu et soigné immédiatement. En prison, il faut faire une lettre pour aller à l’infirmerie. L’urgence n’est pas du tout prise en compte. Il est nécessaire d’avoir un certificat du médecin du CISIH pour avoir une douche quotidienne puisqu’en prison l’accès aux douches est de deux fois par semaine.

La surpopulation pénale et le sous-effectif médical entraînent des temps d’attente très long, trop long pour un malade atteint de pathologie grave. Les listes d’attente s’allongent pour rencontrer les spécialistes : dentiste, dermato, etc. Suite, à un transfert, j’ai dû supporter un pansement dentaire pendant deux mois. quoique je dusse être prioritaire, compte tenu de mon état et des risques d’infections qui sont plus importants que pour d’autres malades.

L’isolement en plus…

Du fait d’une évasion et d’un reliquat de peine de plus de 20 ans, je suis classé par l’administration pénitentiaire comme un « détenu particulièrement surveillé » (DPS). Ce qui fait que, comme les autres détenus ayant cette étiquette, je suis soumis le plus souvent à un régime très dur. Je me trouve placé dans les quartiers d’isolement (QI), où les conditions de détention sont particulièrement inhumaines : seul en cellule, seul en promenade, interdit d’activités, jamais de contacts avec les autres détenus.

J’ai vécu deux ans en isolement, j’étais confiné 22 heures en cellule, la promenade de deux heures s’effectuait dans une cour bétonnée, grillagée de trois mètres sur quatre. Sans jamais croiser un seul codétenu, de quoi devenir fou.

J’ai aussi subi dix-sept transferts. Ces transferts, plus ce traitement de mise à l’écart, ont entraîné une baisse importante de mes T4 et une aggravation de la maladie. Les conditions de détention sont complètement incompatibles pour les personnes incarcérées atteintes de pathologies graves. Elles sont un accélérateur dans le processus de la maladie.

Ce qui m’est insupportable, c’est que, d’un côté, j’ai droit à un traitement et, de l’autre on me fait subir ma peine dans des conditions scandaleuses. Je me demande quelle est l’utilité de cette prolongation de la sentence pénale, alors que la maladie me frappe ?

Aujourd’hui, tout le monde sait que l’état psychologique est très important et a une grande influence sur le système de défenses immunitaires des malades. L’environnement familial, amical et social est aussi d’une importance capitale pour les malades atteints du sida et d’autres maladies graves.

En prison, mes seuls compagnons sont les murs qui m’enferment et m’oppressent. N’ayant pas les moyens de me payer la télévision, les seuls loisirs qui me sont accessibles sont les livres et mes pensées souvent très sombres et lugubres. Je reçois très peu de courrier. La seule personne que je vois, si je ne me trouve pas à l’autre bout de la France, c’est ma mère, de temps en temps, au parloir.

Le soutien psychologique que je serais en droit d’avoir est impossible. Le service est surchargé. Aucun suivi réel à long terme ne peut se faire.

En fait, il faut avoir un caractère en acier trempé pour ne pas sombrer, quand le corps vous trahit de temps à autre. La solitude carcérale, le « non-espoir » sont à l’origine de nombreux suicides de malades du sida incarcérés pour de longues peines. La peine de mort est abolie, mais, dans les prisons françaises, elle existe toujours sous des formes différentes, mais plus pernicieuses.

L’administration, dans sa très grande magnanimité, peut octroyer une « grâce présidentielle » à un malade en phase terminale huit ou dix jours avant sa mort. Il n’apparaitra pas dans les statistiques des « morts en prison ».

Il faut cesser de punir jusqu’à l’acharnement et à la mort. Il faut modifier les mentalités répressives. Il faut considérer qu’un détenu malade est un malade, avant d’être un détenu.

Il est important de mettre en place des alternatives à l’emprisonnement pour tous les détenus atteints de pathologies graves. Le bracelet électronique pourrait en être une à défaut d’autre chose. Les malades pourraient bénéficier de cette nouveauté, ce qui n’enlève rien au côté répressif et privatif de liberté. Mais les malades seraient, malgré tout, dans de meilleures conditions de vie, de soins, d’hygiène, de soutien. Ils pourraient mourir dans la dignité.

La lourdeur des traitements se suffisent à eux-mêmes comme moyen d’enfermement.

La prison n’est pas un lieu de soins, elle n’est pas adaptée pour recevoir des malades atteints de pathologies graves, surtout le sida. Les 1 522 malades du sida recensés actuellement dans les prisons sont considérés comme des « sous-malades ».

Les privilèges existent en prison, même pour la santé. Certains hommes politiques ou industriels incarcérés depuis quelques années arrivent sans difficulté à obtenir des soins pour le moindre petit bobo. Ils sont placés à l’infirmerie où ils sont bichonnés sans vergogne, alors qu’à côté des détenus vont devoir taper dans les portes, crier pendant des heures avant qu’un se maton se déplace et que des soins soient administrés, quand ils le sont !

En prison, vous devez prouver que vous êtes malade. La parole du détenu n’est jamais entendue, jamais crue, elle est toujours déformée, détournée et salie. C’est pour cette raison j’ai vu mourir des détenus comme des chiens, dans des conditions de solitude et de désespoir abominables.

Tous les malades, et surtout les malades du sida, nous sommes des « sous-mourants », des « sous-humains ». Nous sommes les otages de « l’anti-humanité » carcérale.

Pour conclure, selon moi, ce qui est en « Phase terminale », en prison, ce sont les Droits de l’Homme.

Laurent
Fresnes