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La Religion contre les femmes

Le vendredi 8 août 1997.

Débattre des origines religieuses de l’oppression des femmes, c’est débattre des fondements symboliques et juridiques du pouvoir et de l’État.

Suzanne Blaise



Le retour en force du religieux, accompagné d’un développement du fondamentalisme, dans un monde patriarco-capltaliste en crise profonde, ne peut que susciter une immense inquiétude, particulièrement en ce qui concerne les libertés et les droits des femmes.

Mois ces pouvoirs patriarco-politico-religleux ne sont pas issus d’une génération spontanée et pour mieux comprendre ce qu’il en est aujourd’hui, un retour aux sources est nécessaire.

Au commencement… étaient les déesses mères.

Les recherches archéologiques et anthropologiques mettent en évidence l’existence d’un pouvoir religieux féminin et la première hiérarchie : le sacré et le profane. Peu à peu, au cours des millénaires, un semblable divin de sexe opposé s’est imposé, ces déesses mères se retrouvent entourées d’hommes, époux, amant ou fils élu.

Cette revanche des dieux mâles implique un meurtre de la mère et la destruction d’une religion et d’une symbolique propre aux femmes a eu lieu lors de la révolution néolithique (8000/2000 av. J-C). Avec la découverte des métaux apportait une longue période de guerres, de conquêtes.

Les hommes imposent leur domination et pour ce faire approprient le sacré, fondement originel du pouvoir. Cette appropriation du sacré par les hommes s’accompagne d’une régression progressive du rôle et de la place des femmes dans la société.

En orient, au Moyen Orient une question émerge : « Qui détient la supériorité ? La terre qui reçoit la semence, ou la semence qui fertilise la terre ? » La semence prend le pas, la femme devient une outre vide, n’est plus qu’un réceptacle. Cette conception a la vie dure : pendant la guerre en Ex-Yougoslavie, les femmes musulmanes violées par les soldats serbes devaient donner naissance à des enfants serbes.

Au commencement… était le verbe.

S’imposent alors les religions du livre : Bible, Torah, Évangiles, Coran.

La plupart de ces textes sacrés ont été écrits, copiés, transmis, commentés par des hommes. Le verbe est assimilé comme la semence à un extérieur qui viendrait féconder un intérieur, « une nature ». L’homme féconde la femme, détient le langage puisqu’il produit le sperme et assimile le pénis au phallus par un détournement. Encore actuellement le fonctionnement du langage décrit par les psychanalystes est centré sur le fonctionneront du phallus. Pourtant le phallus n’étant pas anatomique, il n’est pas le seul apanage des hommes, les femmes aussi ont affaire à lui. Il est intéressant de noter que Lacan dans ses derniers séminaires, pour contrer l’aspect religieux lié à la fonction paternelle, proposa une autre théorie encore en friche, qui permettrait de problématiser la sexuation sans recourir au phallus. À suivre…

Les femmes écartées de la transmission des écritures y sont peu présentes : deux livres sur quarante-cinq sont consacrés aux femmes dans la Bible. Voilà donc les femmes exclues du symbolique, du sacré et par voie de conséquence du politique, le patriarcat religieux étant à l’origine du patriarcat politique et « voilà pourquoi votre fille est muette » !

Pour justifier une telle exclusion, les femmes ont été décrétées inférieures, impures, porteuses de la faute, et de l’érotisme sacré des temples antiques au culte de la vierge dans les églises, on passe de l’amour qui se célèbre à l’amour qui se consume.

Reléguées au rang de reproductrices, enfermées, servantes du seigneur mais « gardiennes du temple », elles ne sont plus porteuses du sacré mais ne peuvent plus qu’être mères de porteurs du sacré.

Ainsi pour les chrétiens la vierge Marie, mère de Dieu, devient la seule référence symbolique pour les femmes avec la virginité pour fer de lance et l’interdit d’une sexualité qui leur soit propre.

Toutes les grandes religions du monde ont pour prêtres des hommes comme dans l’église catholique même si elles y tiennent une place en nombre avec comme rôle majeur : gestation et transmission. « La gestation porte la foi ».

Cependant durant des siècles, l’Église a pu constituer un refuge pour des femmes qui voulaient échapper à la violence de la société, à la loi du père, au mariage imposé. Elles pouvaient avoir accès à la sainteté (seule forme d’égalité avec les hommes), à la culture, avoir un rôle social, par le biais de l’enseignement, des soins, rôle que la société civile leur refusait. Mais, en règle générale, si elles « en faisaient trop » (certaines femmes d’exception dont des béguines acquerront un statut quasi sacerdotal), l’institution religieuse réagissait par l’élimination physique (bûchers) ou l’intégration forcée en institution (couvents très contrôlés).

Avec l’amélioration de la condition des femmes, les vocations religieuses se raréfient tandis que « le religieux » tente un retour en force. Notre époque semble située à la croisée de deux mouvements antagonistes : le retour du religieux accompagné d’un développement du fondamentalisme sur fond de crise économique grave et l’émancipation des femmes, émancipation que ce retour du religieux bat en brèche.

On peut constater une ingérence dramatique du pouvoir pontifical et de tous les pouvoirs religieux dans la vie civile, publique et politique (avec l’accord des politiques), aux interventions multiples, systématiques du pape contre les droits des femmes (imposition de normes sexuelles : hétérosexualité, mariage, condamnation de l’homosexualité, de l’avortement, de la contraception, du préservatif malgré les ravages du sida). Ces prises de position publiques vont à l’encontre des exigences de liberté et d’égalité.

Jean-Paul II est parti en croisade.

Il affirme dans ses encycliques Veritatis splendor ou Evangelum vitae que la loi divine doit primer sur les lois civiles justifiant ainsi des actions commando contre les centres d’interruption volontaire de grossesse, l’opposition au droit des femmes à disposer de leur corps et encourage tous les lobbies de l’ordre moral. Dans sa « Lettre aux femmes » de 1995 il définit pour les femmes une « vocation spécifique » précisant que c’est dans le sacrifice et le don de soi que « la femme » peut s’accomplir. Il y rappelle également que l’avortement est un péché et un crime même pour les femmes violées durant la guerre en ex-Yougoslavie — avortement qu’il assimile à un génocide… Ce discours s’accompagne d’une exaltation de la dignité de la « femme » dans sa mission humaine et divine de mère, toujours dans la problématique d’une complémentarité homme-femme. S’il affirme soutenir les droits des femmes au travail, à l’égalité dans la vie publique, il écrit dans le même temps : « l’Église voit en Marie la plus haute expression du génie féminin et trouve en elle une source d’inspiration constante. Marie s’est définie elle-même servante du seigneur. »

Cette mariolâtrie de Jean-Paul II peut se rapprocher du gouvernement de Vichy (exaltation d’un « éternel féminin », multiplication des pèlerinages aux sanctuaires mariaux, référence à une « loi naturelle » qui impose à chacun des deux sexes des rôles distincts, célébration de la famille). Cette célébration de la famille est largement reprise par le pape (et par le corps politique dans son entier), lequel pape qui, en 1994 dans sa lettre aux familles écrivait : « la famille constitue la cellule fondamentale de la société ». Cette phrase est à rapprocher de celle de Hitler dans Mein Kampf : « La destruction de la famille signifierait la fin de toute humanité supérieure… Le but final de tout développement vraiment organique et logique doit être toujours la famille. » Dans cette même lettre aux familles, le pape précise : « la famille est organiquement unie à la nation et la nation à la famille. » Il déclare en outre que l’Église ne peut pas être une démocratie.

Ce nationalisme, lors de son précédent voyage en France avait déjà été mis en évidence par la célébration de Clovis, induisant une vision théologique de la nation, le mythe d’une identité nationale, idées qui ne peuvent être porteuses que de xénophobie et d’exclusion.

Cet été, Jean-Paul II revient. De quelle manière va-t-il encore frapper ? Rappelons-nous que lors de la quatrième journée mondiale de la jeunesse en 1989, il écrivait déjà l’hédonisme, le divorce, l’avortement, le contrôle de la natalité et les moyens de contraception, ces conceptions de la vie s’opposent à la loi de Dieu et aux enseignements de l’Église.

Nelly Trumel