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Évry

Une visite chargée de symboles

Le vendredi 8 août 1997.

Ces dernières années, le nom d’Évry reste lié à celui de la construction d’une cathédrale : Notre-Dame de la Résurrection. Une appellation qui, pour tout militant laïque, est chargée d’une pompeuse arrogance et qui évoque bien l’idée d’une restauration cléricale et d’un esprit de conquête.

Dans un pays où la loi de 1905 (dite de séparation de l’Église et de l’État) stipule dans son article 1 que la République ne subventionne ni ne salarie aucun culte, la construction d’une cathédrale dans des conditions si particulières constitue un grave précédent dans la mesure où les lois laïques ont été savamment contournées. Rappelons les faits.

Dès la fin des années 1980, il était question de construire une cathédrale à Évry. Pression du clergé, certes, mais aussi complicité des autorités de la République : à cette époque, ne l’oublions pas, le PS était au pouvoir. Un PS dominé par le lobby démocrate-chrétien (les choses ont-elles vraiment changé aujourd’hui ?). En septembre 1990, les dossiers du Canard enchaîné, au titre évocateur, « Les cathocrates », ont déjà pu relever des déclarations significatives du ministre de la Culture Jack Lang, dès décembre 1988. Jugeons plutôt : « Je lance un appel aux habitants de ce pays pour qu’ils apportent leur contribution, même modeste, à l’édification de ce lieu de vie et de beauté. »

D’après le Canard enchaîné, la participation de l’État était déjà à l’ordre du jour et Jack Lang pouvait dire en cette même année : « le clergé est audacieux, il est normal que le ministère de l’audace, si j’ose dire, lui donne un petit coup de pouce. »

Dans ces propos, un principe laïque fondamentale est transgressé : celui de la neutralité de l’État vis-à-vis de toute confession religieuse. Les choses ne devaient pas en rester là puisque le casse-tête de nos chers technocrates du PS de l’époque était de trouver la meilleure parade pour contourner la fameuse loi de 1905. Le masque tombe de la façon la plus cynique lors d’un entretien télévisé sur M6 en novembre 1996, lorsque le même Jack Lang déclarait : « Le financement direct d’un établissement religieux n’est pas possible et est interdit par la loi. Par conséquent, je ne l’ai pas fait. Mais comment aider l’Église, du moins moralement, sinon financièrement ? J’ai donc trouvé la possibilité de leur donner un coup de main à travers le financement d’un musée d’art sacré qui se trouvera à l’intérieur de la cathédrale. »

Avouons-le, c’était bien joué ! Quelle association laïque pouvait alors recourir au tribunal administratif ? Loi contournée, certes, mais pas violée ! En attendant l’État a bien subventionné la sainte église.

Quel consensus !

Le 31 mars 1991, jour de Pâques, la première pierre de la cathédrale fut posée en grande cérémonie officielle. Cinq ans plus tard, en 1996, l’inauguration fut également l’objet de nombreuses manifestations religieuses et artistiques. Là encore, l’appui du monde politique local de droite comme de gauche fut patent puisque les fêtes furent financées par le Conseil général dominé par une majorité RPR-UDF. Il est vrai que tout ce beau monde se dédouane avec habileté puisque le financement se fait par le biais d’associations. Le partenariat d’entreprises tant privées (comme la très catholique société générale) que publiques (comme EDF) est un fait marquant sans compter que la RATP prêta gracieusement ses panneaux publicitaires pour permettre au clergé de faire grand battage autour de la construction de la cathédrale pendant ses dernières années.

Par conséquent, la visite de Jean-Paul II prévue le vendredi 22 août (même à titre privé) prend bien un caractère symbolique car elle consacre un coup de boutoir important contre un acquis fondamental pour tout citoyen imprégné de philosophie rationaliste et positive : la laïcité, une de nos libertés les plus fondamentales. Mais parlons toujours de symbole : cette cathédrale est à deux pas de la mairie au fond d’un espace intitulé « Place des droits de l’Homme et du citoyen ». Voilà qui est bien significatif d’une église qui côté cour défend prétendument les libertés mais développe son offensive réactionnaire côté jardin. Autre symbole, les fêtes d’inauguration ont débuté un premier mai : belle injure à l’histoire du mouvement ouvrier en même temps que récupération dans un esprit néopétainiste (Pétain a bien récupéré cette journée en la transformant en fête du travail dans un esprit de conciliation de classes). Nous méditerons pour terminer cet extrait de conciliation du journal du Conseil général de l’Essonne de mai 1996 : « Située au cœur de la ville nouvelle, la cathédrale de la résurrection allie deux symboles : celui de la place de la spiritualité dans la cité et celui de la permanence de la foi dans notre civilisation. »

Qui ose donc affirmer après cela que l’Église ne prétend plus régenter les consciences, imposer sa vision du monde et diriger de façon occulte la vie politique en sortant la religion de sa sphère privée ? Les relais politiques à droite comme à gauche ne manquent pas.

Georges l’Émigrant