Accueil > Archives > 1998 (nº 1105 à 1145) > 1107 (22-28 janv. 1998) > [Drogues : l’hypocrisie continue]

Drogues : l’hypocrisie continue

Le jeudi 22 janvier 1998.

Les 12 et 13 décembre derniers, des rencontres se sont tenues autour des drogues et des toxicomanies sur l’initiative de Kouchner. Depuis que la loi de 70 a été votée (loi allant jusqu’à condamner l’usage privé de certains produits), il est dans « notre république » une tradition qui persiste. On convoque une réunion, un colloque, une enquête, un rapport, une commission. Le tout consiste à inviter divers spécialistes a priori, aux yeux du public, indépendants du pouvoir politique. Ces invités honorés de faire partie de ces privilégiés, discutent, parfois émettent quelques idées progressistes.

Les rencontres de Kouchner

Dans ce « lieu libre », un ministre, un responsable de l’autorité policière rappellera le bien fondé de la loi. Cette parodie de démocratie dure depuis plus de vingt ans : du rapport Pelletier (1978) à la commission Henrion (1994) sans oublier les dernières rencontres de Kouchner (l997)… Dans le Monde libertaire nous avons longuement parlé des péripéties de la commission Henrion où le rapport un peu trop favorable à une forme de dépénalisation de l’usage s’est trouvé enterré par un ministre qui a pleuré la mort récente du distillateur milliardaire Ricard (Pasqua).

Ces rencontres ont réuni 300 professionnels, principalement de la santé. Ces derniers majoritairement ont défendu une politique de prévention des risques. Cette volonté politique part du constat d’un échec patent en terme de santé et de toxicomanie de la politique prohibitionniste. Diverses tables rondes se sont tenues et les personnes ont effectivement constaté qu’il fallait dépasser le clivage entre produits licites et illicites (cette distinction ne reposant sur aucune base scientifique), que la politique répressive renforçait l’exclusion…

Devant l’ensemble de ces discours et analyses, qui peuvent nous intéresser, Kouchner appliquera la méthode classique « cause toujours et on se revoit l’année prochaine » : « Le changement de loi n’est ni un préalable, ni un tabou… prévoyons d’autres rencontres comme par exemple l’année prochaine… »

Une rencontre pour rien ou presque ? Peut-être. Choquante sur un point fondamental, de toute évidence !

Anne Coppel, professionnelle favorable à une politique de réductions des risques, déclarait pendant ces rencontres : « Le toxicomane n’est ni un malade, ni un délinquant mais avant tout un citoyen ». Rappelons au passage à Anne Coppel que l’usager n’est pas forcément toxicomane. Mais quelles que soient les conclusions de ces rencontres, notre constat est bien que « ce citoyen » a été le principal absent. Pendant deux jours on a discuté du sort de millions d’usagers, de presque 10 millions de Français…

Les associations d’auto-support (CIRC [1], ASUD), où étaient-elles ? Des simples usagers ont-ils été invités ? Auraient-ils gênés ces discours et ces discussions consensuels ?

Une loi non respectée par presque 10 millions de personnes n’a plus de réelle signification.

Faisons en sorte que la parole de millions d’usagers soumis à la clandestinité puisse s’exprimer. Invitons-nous aux prochaines rencontres de Kouchner. Faisons en sorte que le prochain 18 juin soit un succès, que les revendications des usagers en matière de substitution soient prises en compte, que la criminalisation des usagers cesse. Sortons ou ressortons de la clandestinité. Jean-Pierre Galland, président du CIRC, le rappelait récemment aux journalistes « la paranoïa ambiante a contraint nombre de militants à prendre leurs distances. [2] »

Régis
groupe de Nantes


[1CIRC 73-75 rue de la Plaine, 75020 Paris.

[2Lettre ouverte aux législateurs, disponible dans beaucoup de librairies ou contre 12 FF au groupe FA de Nantes, 16 rue Sanlecques, 44000 Nantes (frais de port compris).