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Faut pas charia !

Le jeudi 27 mars 1997.

Comme il fallait malheureusement s’y attendre, les talibans, ces « étudiants »-soldats islamiques, pour la plupart analphabètes, ont conquis les trois quarts de l’Afghanistan, y instaurant un ordre coranique des plus rétrogrades, à côté duquel le régime iranien des ayatollahs fait figure d’ouvert et de libéral ! Des commandements tous plus imbéciles et odieux les uns que les autres réglementent la vie quotidienne des Afghans (et surtout des Afghanes) transformant la société en une gigantesque prison des corps et des esprits. Pour s’en donner une idée et pour constater que nous n’exagérons pas, vous pourrez lire ci-dessous quelques morceaux choisis assez gratinés.

On pourrait nous reprocher, dans la dénonciation de ces méfaits, de forcer le trait s’agissant des religions, nous arguant que ces taliban-là sont à l’islam ce que les Khmers rouges étaient au marxisme-léninisme. N’est-ce pas plutôt la preuve qu’une religion, quelle qu’elle soit, a une tendance prononcée, dès qu’elle détient tout le pouvoir, à instaurer ses propres valeurs et uniquement celles-ci ? Et que dans ce cas, elle fait fi de la liberté de conscience pour ne pas dire de toutes les libertés !

Qu’on ne nous accuse pas de charger la barque parce que, à Kaboul, il s’agit de la religion musulmane. Nous sommes dans le même esprit quant aux autres. À commencer par celle qui pollue chez nous, la secte du Vatican. Il ne faut surtout pas oublier que cette dernière se définit toujours comme apostolique et universelle, et que si les circonstances lui font adopter un profil bas, elle espère des jours meilleurs. Tapis dans les sacristies, l’infâme n’attend qu’une bonne occasion pour rétablir son hégémonie sur la société.

Un ordre moral original

Toutes proportions gardées, ce que les taliban instaurent, ce n’est jamais que leur ordre moral à eux. Et celui des autres religions n’est pas si fondamentalement différent, à commencer par la place qu’elles réservent aux femmes… Quand on y regarde de plus près, les tentatives de retour de l’ordre moral ont les mêmes préoccupations, voilà qui est curieux… Et la crise, la misère, la peur du lendemain, les détresses de tout ordre forment un terreau idéal pour tous les religieux et autres sectateurs tout comme dix-huit ans de guerre ont favorisé l’émergence des taliban.

Et encore une fois, qu’on ne s’y méprenne pas. Dénoncer la situation épouvantable que subissent les femmes et les homme d’Afghanistan ne signifie pas montrer l’islam du doigt en particulier, cet islam qui serait supposé plus retardé que les autre religions qui, elles, auraient gommé leurs excès (et leurs méfaits). Hors de question de passer en revue les mérites comparés des religions et de décerner un satisfecit à certains plus qu’à d’autres au regard d’une pseudo-modernité, sous prétexte que le Dalaï-Lama est sur Internet et qu’il y a des curés en baskets ! Non, encore une fois, ce serait confondre la forme et le fond. Ce n’est pas parce que certains évêques sont plus mondains que des ayatollahs, que la chemise de nuit orange du Dalaï-Lama est plus seyante que la soutane des curetons intégristes, qu’on met du strass et des paillettes que ça change quoi que ce soit au fond ! Le fonds de commerce de toute religion demeure et demeurera l’obscurantisme ! Tout le reste n’est qu’apparence et poudre aux yeux, image de marque et marketing !

Enfin, qu’on cesse de nous bassiner avec les subtiles différences entre fondamentalistes et intégristes, qu’on arrête avec l’islam, qui serait une religion de tolérance qui n’a rien à voir avec les extrémistes, etc. En réalité, l’histoire ancienne et récente nous le montre, il en est de la place, dans n’importe quelle société, de l’islam comme de celle des autres religions, et c’est bien là le sens de notre propos, ni plus ni moins que d’un rapport de forces à instituer dans la société, entre les laïques, libres penseurs, athées et autres tenants de la Raison contre le cléricalisme sous toutes ses formes. Suivant l’état des forces en présence, la laïcité gagne ou perd du terrain. En Afghanistan, il est certain que la laïcité avait peu de chance, mais on peut espérer que les excès des mollahs finiront par lasser les populations… Ce qui se passe à Kaboul nous rappelle amèrement que le combat contre l’oppression religieuse est loin d’être terminé dans le monde et qu’une vigilance de tous les instants est nécessaire ici même parce que les tentatives pour restaurer l’ordre moral ne manquent pas, il suffit pour s’en convaincre de lire notre journal.

Ironie dont l’histoire a le secret, ce sont les étudiantes des grandes écoles de Kaboul qui, les premières, avaient manifesté contre le régime communiste…

Éric Gava — groupe de Rouen


Les commandements pour « l’interdiction du mal »

Entrées en vigueur début mars 1997, voici les directives de la présidence générale du « commandement du bien et l’interdiction du mal ». À la lecture de cette phrase effarante, on ne saurait si on devait rire ou pleurer si malheureusement ces saloperies ne s’appliquaient dans la réalité… On remarquera aussi que les femmes sont d’éternelles mineures, dépendants des hommes et par conséquent, elle est non-responsable de tous ses actes et que souvent, c’est le mari qui est puni comme ont fait payer aux parents les dégâts causés par leur progéniture…

La revue Les Nouvelles d’Afghanistan doit publier prochainement l’intégralité de ces décrets [1].

Pour lutter contre le danger suscité par les femmes non voilées. Interdiction aux conducteurs de tout type de véhicule de transporter des femmes non couvertes du tchadri ou portant le tchador laissant voir le visage. Sanction : emprisonnement du conducteur. Si on voit une femme marcher avec le tchador, sa maison sera marquée et son mari puni.

Pour éradiquer la musique et le chant. Interdiction de détenir des cassettes et d’écouter de la musique. Sanction : si on trouve une cassette dans un magasin, on le ferme et on emprisonne le marchand. Si c’est dans une voiture, on saisit la voiture et on emprisonne son propriétaire. Si cinq personnes se portent garantes, la voiture est rendue a son propriétaire libéré.

Pour empêcher les hommes de se raser ou de se tailler la barbe. Si un homme est vu avec une barbe taillée ou rasée, il sera emprisonné jusqu’à ce qu’elle soit touffue.

Pour obliger les hommes à prier à la mosquée ou au bazar. Obligation est faite de se rendre pour les cinq prières quotidiennes à la mosquée aux heures définies et si un homme est surpris dans un magasin à une heure de prière, il sera emprisonné dix jours.

Pour éradiquer les jeux avec les pigeons et les cailles. Si les contrôleurs trouvent des pigeons ou des cailles chez les gens, ils couperont la tête des oiseaux.

Pour éliminer drogues et drogués. Fermeture des lieux de vente et emprisonnement ou exécution des consommateurs et des vendeurs.

Pour éliminer les cerfs-volants. Loisir très populaire et par conséquent néfaste car il suscite les paris, les accidents mortels d’enfants et plus grave leur éloignement de l’éducation coranique ! Il faut donc fermer les ateliers de fabrication et détruire les cerfs-volants.

Pour éradiquer l’idolâtrie. Interdiction de détenir des photos. Si les contrôleurs en trouvent, ils les déchireront. Si c’est dans une voiture, elle sera immobilisée et le conducteur interdit de travail.

Pour éradiquer le jeu. Fermeture des centres de jeu et emprisonnement des tenanciers et des joueurs.

Pour éradiquer tambourins, chants et danses pendant les mariages. Arrestation et punition du chef de famille.

Pour éradiquer la confection d’habits féminins. Emprisonnement du tailleur si l’on trouve chez lui des femmes ou un catalogue de mode.

Pour éradiquer la magie. Les magiciens seront emprisonnés jusqu’à leur repentir et leurs livres seront brûlés.


[1Les Nouvelles d’Afghanistan, B.P. 254, 75524 Paris cedex