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Chanson

Les Thugs

« Nineteen something »
Le jeudi 5 février 1998.

La recette est la même depuis quinze ans : un mur de mélodie saturée, un rythme frénétique, une petite voix lointaine (et quelle voix !) en guise de chœurs et des textes d’amour et de rage. La recette est la même mais chaque album est plus puissant que le précédent.

Les Thugs ne désarment pas, toujours sur la brèche ! Nineteen something, leur dernier album, est tout simplement superbe, c’est un disque qui ne sort pas de la platine. Luttes populaires, refus du travail, amour, rêves présents ou brisés… Ici, on ne parle pas pour ne rien dire ! À noter que les Thugs ne font pas que parler, ils sont présents dans de nombreuses structures alternatives sur Angers, notamment dans le local militant autogéré, l’Étincelle. Rencontre avec Christophe, batteur et choriste du groupe.



ML : Sur Nineteen Something, on trouve un texte intitulé « Ya basta » avec des paroles de Marcos, vous vous sentez proches de ce qui se passe au Chiapas ?

C. : Un des côtés sympathiques des zapatistes est le fait qu’ils refusent la violence. Ils disent « on se sert de la violence si on y est vraiment forcé, mais on n’aime pas la violence ». Et pour des guérilleros, je trouve que c’est un discours qui est vachement bien, qui est rare. Je me méfie beaucoup des gens qui sont fascinés par la violence même si c’est pour des bonnes causes, de gauche ou d’extrême gauche, mais qui ont une fascination pour la violence, pour les armes à feu, pour la mort. Par plein d’autres points aussi je pense qu’ils assurent et qu’ils rompent avec les schémas classiques des guérilleros marxistes léninistes et qu’ils réfléchissent à une autre façon d’aborder la politique qui me semble plus intéressante que beaucoup d’autres guérillas qui étaient dans une lignée marxiste-léniniste, dogmatique, avec des œillères théoriques. En politique, comme pour la musique, l’art ou la culture, on n’aime pas le côté dogmatique, le côté des règles imposées. « Ça doit être comme ci ou comme ça », « tu dois faire ci ou faire ça », et nous, au niveau des Thugs, on ne s’est jamais fixé de barrière autre que le fait que ça nous plaise à nous et aux gens qu’on aime.

ML : Dans un morceau, vous dites « Never work anymore ». C’est un appel à l’abolition du travail ?

C. : Disons que c’est en réaction au discours qu’on entend partout en ce moment qui est une glorification directe ou indirecte du travail, qui est de dire que si t’as pas de travail, t’es rien. Effectivement, pour beaucoup de gens le fait d’être au chômage, c’est un problème. Je ne crois pas que ça soit un problème parce qu’ils ne travaillent pas mais parce qu’ils n’ont pas d’argent. La plupart des gens ne travaillent pas pour le plaisir de travailler ; ils travaillent pour l’argent.

Puisque tout le monde dit que le chômage n’est pas une crise passagère mais que c’est structurel, c’est simplement qu’il n’y a plus assez de travail pour tout le monde, l’idée de la chanson c’est de dire : écoutez ! nous, on veut bien être sacrifiés, on veut bien toucher les ASSEDIC toute notre vie et ceux qui ont envie de travailler, on leur laisse la place. Quand on était ados, c’était des retombées de mai 68 et l’idée, c’était plutôt de fermer les usines, de ne plus travailler. Et puis, petit à petit, avec la crise des années 70, maintenant on se réjouit quand de nouvelles usines ouvrent et ça, ça me révolte tout le temps. Il y a aussi le fait que le chômeur est toujours culpabilisé, alors qu’il faut déculpabiliser les gens qui ne travaillent pas et, au contraire, leur expliquer qu’ils ont peut-être d’autres choses à faire dans leur vie que de bosser 40 heures comme des cons et qu’ils peuvent faire du sport, passer du temps avec leur famille, voyager et que ça peut être super de ne pas travailler. Enfin évidemment, au cas où tu peux gagner de l’argent, c’est toujours le problème.

ML : Est-ce qu’on peut qualifier les Thugs de libertaires ?

C. : Moi je ne connaît pas énormément de théories, j’ai pas lu beaucoup de bouquins donc je ne pourrais pas dire exactement ce que c’est l’anarchie, les libertaires, même le communisme ! J’ai des idées assez vagues sur la question mais bon, c’est clair que s’il y a une mouvance dont on se sent proches, c’est la mouvance libertaire. Moi, je suis quand même assez bloqué sur les marxistes-léninistes. Il me semble qu’il y a plus d’idées intéressantes dans la mouvance libertaire. J’ai l’impression que c’est moins dogmatique que dans un parti d’extrême gauche où tu as un bouquin qui te dis comment les choses doivent marcher et puis, au niveau du fonctionnement interne, ça n’est pas des partis ou des structures hiérarchisées avec des petits chefs. On a toujours fait des trucs, même avant le groupe, quand on était au lycée, on faisait des journaux de contre-info, on participait à des mouvements lycéens. On s’est toujours intéressé à la politique. Enfin, le terme politique nous a toujours un peu gêné parce que nous, on n’a jamais séparé la musique, la politique, la vie quotidienne, l’amour et tout ça. Pour nous, ce sont les mêmes problèmes !

Propos recueillis par Julien
groupe Malatesta (Angers)