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Lutte des chômeurs à Paris

Une Journée ordinaire

Le jeudi 19 février 1998.

Vendredi 6 février, 8 h 30 du matin : le collectif des chômeurs du 18e arrondissement de Paris (collectif des occupants de l’agence EDF-Barbès), soit trois personnes, distribue des tracts devant l’agence EDF, rue d’Argonne, dans le 19e (une équipe est mobilisée pour chaque agence Paris-nord). Cette dernière ferme ses grilles aussitôt, les usagers restant devant la porte. Les flics sont appelés de suite. Ils font d’abord une vérification d’identité : la raison, troubles à l’ordre public (sic !) ; puis ils nous demandent nos projets. À aucun moment il n’a été dans nos intentions d’occuper les lieux (surtout à trois !). Les forces de l’ordre vont ensuite servir d’intermédiaires entre nous et le directeur de l’agence (la police nationale devient parlementaire, que de changements avec le socialisme !). Ce dernier refuse d’ouvrir ses portes, et l’agence restera fermée toute la journée, espérant opposer ainsi usagers et chômeurs. Même si les flics trouvent la situation absurde (sans l’avouer ouvertement), les usagers signent les pétitions que nous leur présentons, et nous soutiennent. Les cognes nous demandent quand même notre place dans l’organigramme de l’organisation. Nous éclatons de rire : « Nous n’en avons aucune, les décisions sont prises en commun lors d’AG souveraines ». Ils ne comprennent pas trop notre langage : il n’y a ni général ni adjudant-chef des chômeurs ; leurs repères sont détruits !

Du conseil constitutionnel…

Nous préférons quitter l’endroit pour ne pas pénaliser les usagers d’un service public. La diffusion se poursuivra sans problème devant la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

Vendredi 6 février, 12 h 30. Rendez-vous place de la Bastille à l’initiative d’AC ! Le but est le conseil constitutionnel. Nous envahissons l’endroit, une déclaration y est lue en présence de deux chaînes de télévision ; après trois minutes d’occupation, nous quittons les lieux, sans comprendre la véritable raison de ce geste. Opération coup de poing, soit ! Geste médiatique, oui ! Même si aucun reportage n’a été diffusé… Mise en scène grotesque, sans doute ! Pouvait-on attendre mieux d’un mouvement téléguidé par une Villiers catho et un Aguiton ? Les libertaires présents (FA et CNT) étaient aussi dépités qu’écœurés devant le refus d’une frange d’organisateurs pour une occupation de longue durée.

… au siège de la RATP

Vendredi 6 février, 18 heures. Nous envahissons le siège de la RATP, rue de Bercy, en soutien aux précaires et grévistes de la COMATEC contre les négriers de la succursale du camarade Gayssot. L’action est préparée par la CNT, avec le soutien moral de la CFDT et de FO (où est donc la CGT ?). L’occupation dure une heure et demie. Le commissaire, après négociations, nous autorise à sortir en bloc. Nous nous regroupons, banderole en tête, devant la grille qui reste obstinément fermée. Quatre cars de gardes mobiles arrivent ; ils investissent le bâtiment, nous encerclent, certains sont armés de fusils d’assaut. Nous sommes finalement tous interpellés. Rendez-vous au commissariat du 12e. Le premier car embarque une bonne trentaine de personnes, le second plus de cinquante manifestants, tout le monde est entassé debout, souvenir d’une époque prétendument révolue. Les gens dans la rue n’étaient d’ailleurs pas indifférents lors de notre pérégrination à grands coups de sirènes dans les rues de notre glorieuse capitale. Arrivés au commissariat, après la fouille (on a vérifié jusqu’à l’intérieur de ma capuche) — bras au mur et jambes écartées — et la vérification d’identité, nous sommes libérés finalement au bout d’une heure.

la gauche réprime

Après la vérification d’identité pour diffusion de tracts et la mobilisation de l’armée suite à l’occupation pacifique de lieux publics, nous pouvons nous demander si le fascisme revêt uniquement la tenue brune ; ce dernier à de plus en plus de reflets roses. C’est-à-dire que nous faisons véritablement peur aux pouvoirs institués ; de plus, la presse, de quelque tendance qu’elle soit, maintient un silence complice avec ce pouvoir.

Nous avons notre destin entre nos mains en nous auto-organisant. Nous savons très bien que le chômage ne se résoudra pas avec une loi sur les 35 heures. Alors, vivons notre engagement jusqu’au bout : que peut-on perdre quand nous ne possédons rien ? Que peut-on perdre quand la gauche caviar nous raisonne sur son réalisme économique ? Que cette même gauche est capable de sacrifier une partie de la population aux profits du capital et du patronat ; cette gauche coupable, au même titre que les droites, de meurtre social. Nous ne voulons plus être sacrifiés sur l’autel du libéralisme.

Le mouvement s’élargit aux chômeurs et précaires de l’Europe (Allemagne, Espagne, Italie). C’est à nous de maintenir la pression en élargissant la base du mécontentement actuel, plus le pouvoir a peur, plus la répression s’accroîtra, plus nous serons près du point de rupture. à nous d’en profiter pour transformer cette révolte en révolution sociale.

Pascal
groupe Louise Michel (Paris)