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La Seine-Saint-Denis, un endroit comme un autre

Le jeudi 12 octobre 2006.

J’habite la Seine-Saint-Denis. Le « 9-3 », comme ils disent (disent-ils le « 7-0 » lorsqu’ils parlent de la Haute-Saône ?). Objet de fantasme pour certains, terra incognitae pour la plupart de ceux qui se permettent pourtant, à propos de ce département, des jugements définitifs et insultants. Journalistes, éditorialistes, intellectuels et politiques, de droite comme de gauche, ces gens connaissent mieux que moi l’endroit où je suis installée, mon quotidien, celui de mes voisins.

Pourtant, quand je les écoute ou les lis, c’est étrange, je n’en retrouve pratiquement rien. Le « 9-3 » : un département qui, de longtemps, fut la cible privilégiée des forts en thème de Passy. La lie de la banlieue parisienne.

Une honte, une décadence, le signe (ostentatoire) de la relégation sociale. À quelques îlots près, habiter le 9-3, ce serait vouloir en partir. Car ce n’est pas ici un endroit comme les autres : soit on y est pauvre et souffrant (version de gauche), soit on y est « terrorisé » par les hordes barbares (version de droite). Dans tous les cas, on n’y est pas bien, on n’y est pas « tranquille ».

J’y suis bien, moi, et je constate : il y a des cinémas, en Seine-Saint-Denis. En Seine-Saint-Denis, il y a des théâtres, des boulangeries, des pharmacies, et même des pubs irlandais ! Une large majorité de ses habitants travaillent, se lève le matin, déposent les enfants à l’école, car, en Seine-Saint-Denis, pour curieux que ça puisse paraître, il y a aussi des écoles. Un million et demi d’habitants, pas plus « terrorisés » que ceux de Loir-et-Cher. Un endroit comme un autre ? Oui. Même si la moyenne d’âge y est plus jeune qu’ailleurs et que le chômage frappe dur : additionnez ces deux particularités et vous aurez saisi l’essentiel du « problème » de la Seine-Saint-Denis. Pour autant, cela ne suffit pas à en faire une terre d’exception, ni n’explique pourquoi l’index du ministre de l’Intérieur et des journalistes caniches pointe si souvent le 9-3.

C’est devenu une habitude, depuis la petite phrase sur le Kärcher, balancée de La Courneuve, c’est nous qu’on aime montrer du doigt. C’est devenu une habitude, mais on ne s’y habitue pas. Les émeutes de novembre 2005, que les jeunes des quartiers vont payer durant les dix ans à venir, elles sont parties d’où ? De Clichy-sous-Bois, 9-3. Donc coupable, le 9-3, comme Paris coupable de la Commune, en son temps. Et les bonnes âmes de gauche redécouvrent soudain la misère sociale dont ils se sont tellement souciés lorsqu’ils étaient aux affaires et dénoncent, la main sur le coeur, la stigmatisation dont nous sommes victimes.

Foutage de gueule général.

Foutage de gueule accentué ces dernières semaines, confinant à l’odieux. Quand Sarko stipendiait les juges de Bobigny, coupables selon lui de ne pas jeter en prison suffisamment d’enfants, la note où le préfet disait son inquiétude face à l’augmentation de la violence « fuitait » étrangement dans la presse (une vieille note, qui datait de juin). La couverture médiatique donnée à ces non-événements par des journalistes décidés à marcher au pas de l’oie livrait une nouvelle fois une image exécrable de la Seine-Saint-Denis : délinquance, insécurité, bandes de jeunes, islamisme et cages d’escaliers. Alors on se dit « c’est assez ! ». Marre des caricatures, des poncifs enfilés comme autant de perles sur un collier dont le nom est rejet, inculture, méconnaissance et addiction crasse au pouvoir ! Marre de laisser Sarkozy user de la banlieue comme d’un décor pour son show de futur présidentiable ! Marre de lui laisser ainsi dérouler son programme à seule fin de prouver que lui seul sera capable de mener jusqu’au bout la guerre contre les pauvres !

Marre de se coltiner, chaque jour, des flics survitaminés et ces paumés de CRS venus de Montélimar (derniers représentants de l’État depuis qu’on a fermé La Poste, puis l’agence ANPE, puis la PMI de mon quartier) ! Marre de voir le député-maire, PC, lui qui se prétend mon porte-parole à l’Assemblée mais qui, de parole justement, manque, gesticuler sur le parking, à bonne distance des tours, entouré de caméras et de flics municipaux ! À lui, comme aux autres, j’ai envie de dire : « Lâchez-nous ! Foutez-nous tranquilles ! »

On vit bien, en Seine-Saint-Denis, pas plus mal en tout cas que dans le Loir-et-Cher. Et même si vous avez décidé que le sécuritaire sera, une fois encore, le thème central de la campagne à venir. Même si, dans cette optique, plus vous pourrez faire croire que ça va mal en banlieue, plus vous vous assurerez un confortable matelas de voix (dont certaines viennent de banlieue, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, et montrent, s’il en était besoin, le caractère infâme de l’électoralisme).

Même si, grâce à vous, on a de fortes chances de voir Le Pen accéder une nouvelle fois au second tour, mon souhait unique est aujourd’hui que vous nous oubliiez. Qu’on respire ! Pourquoi ne pas envoyer vos cameramans bosser un peu en Tchétchénie ? Nous, pendant ce temps-là, nous continuerons à alimenter ces solidarités si particulières aux quartiers, à construire ces histoires, collectives et belles, ces histoires qu’à Passy on ne saurait imaginer.

Rebecca, Groupe libertaire Louise-Michel