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Sans-emplois, sans-papiers… convergence des luttes

Agir au lieu d’élire !

Le jeudi 5 mars 1998.

Ce début de nouvelle année aura été indiscutablement marqué par le mouvement des chômeurs. De Marseille à Paris en passant par Rennes, Perpignan, Lyon et bien d’autres villes, de nombreux chômeurs ont brisé l’isolement qui caractérisait leur situation afin de se grouper et d’agir ensemble contre la misère et la précarité de leur quotidien. Si le mouvement a démarré sur des revendications spécifiques, du type prime de Noël de 1 500 FF, augmentation des minima sociaux ou encore l’extension du RMI aux moins de 25 ans, rapidement, le mouvement se radicalisa et globalisa ses revendications, cherchant alors à dénoncer l’ensemble d’une société produisant inégalités, misère et exploitation. Tel a été le sens de nombreuses occupations symboliques, d’opérations de réquisitions dans les supermarchés et les restaurants de luxes, mais aussi de la popularisation de slogans clairement anticapitalistes tel que « partageons les richesses, pas la misère » ou « rien n’est à eux, tout est à nous ! ». Très vite ce mouvement a dépassé, par ses mots d’ordre et ses pratiques, le cadre que lui avaient fixé les structures se voulant représentatives du mouvement des chômeurs, à savoir essentiellement AC ! et les comités chômeurs CGT. Si les idées libertaires trouvèrent un large écho, nos pratiques et modes de fonctionnement s’imposèrent à de nombreux endroits, spontanément ou par impulsion des militants anarchistes investis dans la lutte, au grand désarroi des professionnels de l’encadrement des mouvements sociaux. Collectif autonome de chômeurs, souveraineté des assemblées générales, mandatements, action directe, voilà des formes bien libertaires dont s’est paré le mouvement.

Contre les manipulations politiciennes

Il n’est peut-être alors pas étonnant de voir la CGT puis AC !, chacun à leur tour, tenter de trouver une issue rapide au mouvement. À quelques semaines des élections régionales et cantonales, même les composantes syndicales et associatives les plus remuantes de la « gauche plurielle » sont conscientes qu’elles ne peuvent laisser se développer un mouvement qui leur échappe, se radicalise et risque de se développer en autonomie par rapport à toute représentation politique. L’objectif est de tenter de terminer le mouvement tout en lui donnant l’illusion d’un aboutissement. La première tentative aura été celle de la CGT lors de la journée d’action du 27 janvier pour les 35 heures, au moment où la loi était discutée au parlement. L’astuce était alors simple, raccrocher les chômeurs à la question des 35 heures en leur faisant croire que cette loi est une première mesure salutaire contre le chômage. Depuis cette journée, la CGT s’est faite bien discrète. Néanmoins, malgré le retrait de son aide logistique, le black-out total imposé par les médias depuis cette date, l’entrée en scène de la répression, dans de nombreuses villes la détermination des chômeurs n’a pas été ébranlée et le mouvement se poursuit. Nouvelle tentative, celle d’AC ! cette fois-ci prévue pour le 7 mars, au moment où le gouvernement commence à réfléchir sur une loi « contre l’exclusion ». L’idée de départ d’organiser lors de cette journée une seule manifestation à caractère national à Paris s’inscrivait bien dans la volonté de mieux contrôler le mouvement et son orientation plutôt que de voir éclore de multiples initiatives locales « incontrôlables » et risquant de dépasser les objectifs fixés. La méthode est simple : centraliser pour mieux contrôler et ainsi se prévaloir de la légitimité d’organisation représentative du mouvement pour pouvoir ensuite dialoguer avec le gouvernement et tenter de marginaliser tous ceux qui ne s’inscrivent pas dans cette démarche. Notons que ces deux journées, celle du 27 janvier comme celle du 7 mars, se focalisent autour de projets gouvernementaux, cherchant par la pression à en obtenir le maximum mais aussi à y apporter un soutien évident. Dans les deux cas, à la veille des élections, les relais associatifs et syndicaux de la gauche tentent de trouver des perspectives en reconstruisant l’unité derrière le gouvernement.

Il est alors urgent de dénoncer ces mascarades et ces basses manœuvres électorales cherchant à duper dans leurs intérêts aussi bien les chômeurs que les salariés. Nous savons que le projet Jospin sur les 35 heures ne réglera en rien la question du chômage, de la misère et des inégalités. Ce n’est qu’une mesure d’adaptation de plus à la mondialisation du capitalisme et à sa gestion de la main d’œuvre renforçant la flexibilité et imposant l’annualisation du temps de travail. Quand aux fameuses mesures contre l’exclusion, elles semblent plus relever de l’effet d’annonce médiatique que de réelles mesures. Les promesses semblent bien faibles pour calmer la révolte de nombreux chômeurs et changer sur le fond leur situation. Rappelons que Jospin s’est contenté de promettre l’indexation des minima sociaux sur le coup de la vie pour le 1er janvier 1999 et de faire adopter une loi contre l’exclusion qui sera discutée au conseil des ministres du 25 mars prochain. Le lendemain de sa déclaration, on apprenait que la France réussissait brillamment son examen d’entrée dans les critères de Maastricht. Nos bons socialistes ont compris qu’il fallait faire des choix, et ils ont choisi leur camp depuis longtemps.

Faire converger les luttes

Il est alors important de maintenir le mouvement des chômeurs hors des illusions électoralistes, d’éviter les récupérations des traditionnels donneurs de faux espoirs de gauche. À nous de mettre en place des formes d’auto-organisation sur le long terme, d’inscrire profondément l’idée que c’est seulement par les luttes sociales que nous transformerons nos conditions de vie et peut-être changerons notre futur. À nous aussi de faire que ces luttes convergent avec d’autres, porteuses des mêmes dynamiques et des mêmes espoirs dans un monde meilleur.

À ce titre la lutte des sans-papiers, un moment occultée par le mouvement des chômeurs, risque bien de rebondir dans les semaines à venir. Le 30 avril est la date limite de réponse pour les 150 000 dossiers de demande de régularisation qui ont été déposés dans les diverses préfectures. Nous savons déjà qu’il faudra se mobiliser pour éviter des milliers d’expulsions d’individus que le gouvernement socialiste, par de fausses promesses, a fait sortir du bois. Déjà 22 000 refus de régularisation ont été annoncés sur les 62 000 dossiers qui ont pour l’instant reçu une réponse, alors que ce sont les dossiers les plus « simples » qui ont été traités dans un premier temps. Cette lutte des sans-papiers, tout comme celle des chômeurs, s’inscrit dans la même volonté de rompre avec l’isolement, avec la précarité du quotidien et de retrouver une dignité et le droit de vivre tout en reposant la question de cette société qui produit de tels désastres humains.

Ces deux luttes s’inscrivent dans la continuité du mouvement de grève générale de novembre-décembre 1995. Un mouvement qui, après plus de dix ans d’apathie sous les coups de la social-démocratie, a rouvert la porte aux luttes sociales comme moyen d’expression. Un mouvement social qui ne sait pas encore vers quoi aller, ni comment y aller, mais qui s’inscrit dans une dynamique opposée aux illusions politiciennes, qui est conscient que c’est par la lutte et l’auto-organisation qu’on changera les choses et qui est à la recherche de perspectives.

Agir au lieu d’élire !

Bien loin d’une défaite pour les classes dominantes, l’arrivée de la gauche au pouvoir est bien une ultime tentative de colmater les brèches ouvertes dans le consensus social par les grèves de novembre-décembre 1995 et ainsi stopper la propagation de la contestation sociale. Si l’effet Jospin a marché quelques mois, il semble maintenant que le gouvernement ait du mal à maintenir cet objectif malgré les renforts fournis par le ban et l’arrière-ban de tout ce que la gauche et l’extrême gauche comptent de « plurielle ». Une gauche plurielle qui n’a plus comme seul discours, comme dernier cheval de bataille, que celui de se présenter comme le dernier rempart face au FN. Un FN qu’elle engraisse pourtant chaque jour par sa politique économique et sociale désastreuse.

Alors au vue des prochaines élections, rappelons que nous n’accorderons pas une voie pour les marchands d’illusions, quelles que soient leurs couleurs. En opposition à ces appels à la délégation de pouvoir, à cautionner l’action politique d’individus au service d’intérêts qui ne sont pas les nôtres, aidons à développer un mouvement social en rupture avec toute représentation politique, porteur de ses propres dynamiques et d’un projet de société basé sur l’égalité économique et sociale. à nous de favoriser les pratiques d’auto-organisation, de faire converger les luttes existantes et d’en impulser de nouvelles afin que les révoltes d’aujourd’hui deviennent les révolutions de demain.

David
groupe Durruti (Lyon)