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Allemagne

Jean-Paul II s’en prend aux avortements

Le jeudi 5 mars 1998.

En Europe occidentale, plus qu’ailleurs dans le monde, on a a priori le sentiment que les femmes ont obtenu nombre de droits sur leur personne, essentiellement depuis une trentaine d’années ; ce qui est loin d’être faux. Cependant, les différents mouvements d’émancipation des femmes, la mobilisation et le militantisme semblent s’être globalement atténués depuis. La conséquence qui en résulte est alors une stagnation, voire une régression de certains acquis des femmes face aux tenant(e)s de l’ordre moral.

Mais pointons plus spécialement du doigt la situation outre-Rhin.

Un petit historique des faits…

D’un point de vue législatif :

Avant la chute du mur de Berlin, l’ex-RDA donnait aux femmes la possibilité d’avorter sans condition jusqu’à douze semaines. Dans les mêmes temps et en véritable opposition à cela, la cour constitutionnelle de Karlsruhe (dans l’ex-RFA) considérait illégale l’interruption volontaire de grossesse, au nom de la protection de la vie…

Une demi-mesure législative est ensuite née en 1995 dans l’Allemagne réunifiée où une loi a été votée, dépénalisant la pratique de l’avortement, sans pour autant ôter le caractère illégal de l’IVG.

Sur le terrain :

De nos jours, il y a en Allemagne 1 682 centres de planification familiale [1], véritables lieux d’écoute, d’informations et de conseils pour les femmes se retrouvant face à une grossesse non désirée. Or, sur ces 1 682 centres, 255 sont gérés par l’Église protestante et 265 par l’Église catholique, tandis que les autres sont laïcs.

Face à la loi de 1995 qui prévoit donc l’IVG comme étant un acte dépénalisé certes, mais toujours illégal (nuance très subtile, et très hypocrite aussi…), toute femme désirant avorter doit avoir en sa possession un certificat validé par un centre. Ce certificat est une assurance aux yeux de la loi que nulle n’échappe au discours (plus ou moins intense) de dissuasion que ces centres doivent développer, et également que nulle n’avorte après trois mois de grossesse. L’IVG actuellement pratiquée en Allemagne est donc soumise à des conditions bien délimitées, à des restrictions bien établies.

…sans oublier la pression papale

Au cours du mois de janvier dernier, Le Vatican a demandé aux centres de planification familiale d’obédience catholique de cesser de délivrer des certificats d’avortement aux femmes qui le désiraient. En effet, Sa Sainteté ne supporte plus l’idée de pactiser avec le diable, de collaborer avec les démons de l’Enfer ; bref, il ne supporte plus de savoir que des catholiques allemandes, en aidant à la gestion de centres de planification [2], se rendent complices d’avortement en délivrant des « permis de tuer ».

Quels constats, finalement ?

Ces attaques des droits des femmes à disposer librement de leur sexualité et de leur corps (grâce à la contraception et à l’avortement) sont donc d’ordre politico-législatif [3] d’une part, et d’ordre religieux d’autre part.

Mais, de façon très étonnement et très schématiquement manichéenne, on peut mettre en avant un aspect relativement avantageux et un aspect négatif à ces attaques.

En effet, jusqu’à présent les animatrices des centres catholiques considèrent qu’elles ont permis de « sauver » des vies puisque, durant l’année 1996, 23 % des femmes qui sont venues les voir ont décidé de mener leur grossesse à terme [4]. Ainsi, pour ces mêmes animatrices, l’utilité de leur action va être complètement amoindrie. En effet, les femmes dans l’indécision mais qui savent qu’elles ne pourront se procurer de certificats d’avortement dans les centres catholiques, ces femmes-là se tourneront vers des centres laïcs ou protestants, tout en se détournant de fait de l’Église catholique qui répudie leur choix d’avorter. Ainsi, ce qui rend quelque part cette décision papale intéressante, c’est finalement le fait que si une femme indécise évite les centres catholiques, l’influence qu’elle pourrait subir pour garder le fœtus sera a priori amoindrie.

Par contre, la disparition éventuelle des centres catholiques en Allemagne pourra avoir comme conséquence un tort profond : la difficulté pour certaines femmes isolées à avoir accès aux informations minimums par rapport à l’IVG (même si elle savent que dans ces mêmes centres elles ne pourront avoir de certificat d’avortement). Il s’agirait alors d’un cas similaire à la désertification des centres hospitaliers dans certaines campagnes françaises. Ainsi, des femmes en mal d’informations pourraient choisir par défaut, subir donc, une grossesse non désirée. Cette situation-là n’est vraiment pas favorable à l’émancipation pleine et entière des femmes.

@nne


[1Voir Le Monde du 29 janvier 1998.

[2Via des organisations comme le Service social des femmes catholiques, entre autres.

[3En effet, la suggestion par le Pape à Kohl de modifier la législation en matière d’avortement est mal accueillie, les prochaines élections prévues pour septembre se rapprochant…

[4Ces chiffres sont donnés par Le Monde.