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Pas une voix pour les marchands d’illusions

Le jeudi 12 mars 1998.

Débats télévisés, dossiers de presse quotidiens, affichages du Centre d’Information Civique, tout a été mis en place pour la célébration des élections régionales, doublées par endroits par des élections cantonales. La classe politique s’agite avec sa frénésie habituelle. Meetings, serrage de mains sur les marchés, duels télévisuels, propagande tous azimuts, c’est à qui en fera le plus pour se faire remarquer, pour se faire élire.

L’arsenal habituel tourne à plein régime, les grandes manœuvres battent leur plein, la guerre des urnes va avoir lieu. Mais, malgré ce déploiement de forces électoralistes et journalistiques, il semble que les électeurs se préparent à ne participer que du bout du bulletin, voire même pas du tout, au rituel démocratique. Les élections régionales ne sont pas les préférées des citoyens de ce pays, au grand dam des milliers de prétendants à la représentation politique. Ce sont celles où l’abstention fait ses meilleurs scores.

Vers d’autre perspectives

Pendant ce temps là des chômeurs, des précaires, des salariés se rencontrent, se parlent, s’entraident et passent à l’action. Ils et elles occupent des ANPE, des ASSEDIC, des agences EDF. Ils et elles investissent des locaux pour se réunir, prennent le train sans payer, organisent des réquisitions de produits de base dans des supermarchés. Bref, ils et elles ont décidé d’agir sans plus attendre que des représentants s’occupent (très mal le plus souvent) de leurs affaires à leur place. Les politiciens, un peu gênés (si, si un petit peu), affectent de les entendre, ils les écoutent avec des mines dégoulinantes de compassion. Les sondages montrent que près des trois quarts de la population se sentent solidaires des revendications exprimées par ce qu’il est convenu d’appeler « le mouvement des chômeurs ». Comme les élections sont là, ceci explique cela. De là à penser que ces citoyens ayant pris goût à l’action directe se détournent résolument des isoloirs, voilà qui ferait froid dans le dos des professionnels de la politique politicienne.

Rupture ou implosion

Tout n’est pas aussi simple malheureusement. Les centaines de milliers de gens qui étaient descendus dans la rue en novembre et décembre 1995 n’ont pas retrouvé, loin s’en faut, les chemins de la contestation qu’ils avaient empruntés, timidement il est vrai, deux ans auparavant. Pourtant, cette fois, il ne s’agit pas de refuser un plan Juppé qui appliqué depuis dans l’indifférence générale. Il est question maintenant de demander, d’exiger des moyens pour survivre. Il est question de dire non à l’insupportable situation qui est faite à plusieurs millions de nos concitoyens. Le problème est clair et concret et c’est peut-être ça qui bloque. Ce non à l’insupportable exige en retour des réponses concrètes, des perspectives claires. Toutes choses que l’ensemble du personnel politique est incapable d’apporter, toutes choses que le mouvement social n’est pas pour l’instant en mesure d’imaginer.

Il semblait clair après les mouvements sociaux de fin 1995 qu’il n’y avait aucune raison d’espérer qu’une quelconque alternative politique soit en capacité de répondre aux angoisses d’une population réduite à la défense d’acquis inéluctablement réduits en miettes par un capitalisme toujours plus arrogant.

Pourtant une majorité de la population continue de s’en remettre aux « politiques » pour gérer son quotidien. Bon nombre de militants politiques, syndicalistes ou associatifs investis dans les mouvements sociaux continuent vaille que vaille, en dépit des évidences, à s’en remettre à l’illusion électorale. C’est bien là tout le paradoxe de cette fin de siècle : plus personne ne se fait vraiment d’illusions, mais le système continue à tourner. Les intellectuels pétitionnaires reprochent aux « politiques » de ne pas faire leur travail : voilà toute la réflexion qu’ils s’autorisent, quelle tristesse, quelle étroitesse d’esprit ! Les militants de gauche produisent des constats bien sentis sur les méfaits du capitalisme sauvage, comme s’il existait un capitalisme civilisé ! Les citoyens fatigués votent non, votent contre, votent sans y croire…

Pour un autre futur !

Décidément les urnes sont bien le cercueil de toutes nos illusions. Même s’il est minoritaire le mouvement des chômeurs est porteur d’espoir en ce sens qu’il montre que les occupations, les réquisitions, la lutte sociale sont autrement plus efficaces que la loterie électorale. La lutte des chômeurs et des précaires est d’essence profondément libertaire, elle ne pourra pas se satisfaire des promesses électorales, elle est condamnée à ouvrir des perspectives d’alternative sociale. Les totalitarismes fascistes ont ensanglanté le vingtième siècle, on commence à compter officiellement les cadavres produits par les totalitarismes marxistes. Il reste cependant un dogme qui semble indépassable : celui qui consiste à faire croire que la démocratie bourgeoise est la forme achevée de l’organisation sociétaire.

L’anarchisme offre un cadre idéologique et philosophique pour ceux et celles qui ne se résignent pas à subir l’exploitation. Il est grand temps de passer aux choses sérieuses, il faut agir au lieu d’élire !

Jérôme Varquez
groupe Albert-Camus (Toulouse)