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La Place des parents à Bonaventure

Le jeudi 12 mars 1998.

Bonaventure fut créée par des parents (groupe local), des libertaires et des personnes en sympathie avec le projet. Au cours des deux premières années, les adultes (parents et professionnels) confrontés à l’urgence du quotidien, de la mise en place du projet se préoccupèrent peu du fonctionnement institutionnel « hors-classe ». Le groupe local composé des adultes (parents/éducateurs) s’occupait de la mise en place de la gestion du centre éducatif, de l’animation de l’association, de la construction d’un réseau.

Il fallut trois ans pour que les enfants, aidés par les éducateurs (éducateurs, intervenants) mettent en place les outils institutionnels de fonctionnement (conseils d’enfants, boîtes à râlage, à bravo, quoi de neuf ?, autofinancement des projets scolaires). À la suite d’un audit effectué l’hiver dernier, les éducateurs ont obtenu de travailler régulièrement avec un contrôleur/régulateur : cette année une enseignante, membre de l’ICEM, s’en est chargée. Leur participation aux ateliers du mouvement Freinet départemental et régional leur permet d’analyser avec des « pairs » leur pratique professionnelle et d’imaginer de nouvelles recherches. Leur responsabilité pédagogique se traduit également par l’autonomie de fonctionnement (réunion de travail indépendante, autonomie du budget pédagogique dans les limites fixées par le congrès). Le fonctionnement de la communauté éducative permanente (enfants/professionnel) a trouvé un rythme de croisière satisfaisant.

Vers une séparation des pôles de responsabilité

« Les interactions entre le groupe des parents et des professionnels sont le moteur de Bonaventure. Les professionnels sont les artisans des processus d’apprentissage disciplinaire et citoyen ; les parents y apportent une aide décisive. L’intervention directe des parents dans de nombreuses activités scolaires, comme soutien logistique, comme animateurs ou comme enseignants, enrichissent l’entreprise éducative » [1].

Focalisés par l’école et la scolarité de leurs enfants, les parents se sont laissés entraîner par les tâches quotidiennes ou l’affectivité des rapports interpersonnels. Le congrès de novembre 1997 [2] a analysé la situation et s’est donné une année pour mettre en place une organisation satisfaisante.

La transformation des rapports institutionnels des différents groupes (enfants, parents, éducateurs) passe par une redéfinition de la place de chacun.

Un préalable à la gestion : la coéducation

Cet élargissement de la place et du rôle de chacun s’acquiert à travers l’instrumentation des compétences reconnues (plan de travail, arbre de connaissance). Cette appropriation parentale de sphères créées par les groupes d’enfants et d’éducateurs offre un premier tremplin de structuration. Des espaces de travail sont dissociés : gestion quotidienne, animation associative, discussions, animation pédagogique. Pour l’heure aucun secteur n’est institué en terme de mémoire, de fonctionnement collectif. Il revient au groupe de parents de structurer cette démarche. Cette formalisation passe à la fois par une dissociation de la vie associative avec la gestion du lieu, par un élargissement du concept d’autogestion éducative, par une recherche personnelle.

Du partenariat à l’autogestion

L’éducation à la liberté, à la négociation, à l’autonomie dépasse les murs de l’école. Les enfants ont tous été à l’initiative de transformation de rapports familiaux. Le fait de l’oublier, de ne pas l’analyser, fut l’un des détonateurs de la crise institutionnelle que traversa Bonaventure l’an passé (démission d’un professionnel et de plusieurs familles). L’analyse des rapports enfants-école-famille aurait de fait défocalisé l’attention portée sur l’institution pour l‘élargir à un concept éducatif global. Elle aurait intégré au débat institutionnel les rapports de Bonaventure avec son environnement local et l’utilisation du réseau créé depuis quelques années. Elle se serait penchée sur l’autoritarisme de la famille patriarcale et le statut de l’enfant dans notre société.

La confrontation au réel casse parfois l’espoir de vivre une autre éducation. Le manque de temps, le décalage politique (en terme de citoyenneté), l’insularité et les rapports humains qu’elle induit sont à prendre ou à laisser. Le congrès conscient de ces limites structurelles a malgré tout pris le pari de poursuivre l’aventure en terre oléronnaise. Sur ces trois plans (entraide à la citoyenneté, coéducation, cogestion), chacun tente de trouver un espace, une entreprise culturelle, un objectif pédagogique. Le groupe scolaire composé des enfants et des éducateurs s’élargit à l’ensemble de la communauté éducative (membres permanents ou occasionnels).

Les parrainages de chaque nouveau parent [3] ont ainsi développé, ou essayent de le faire : la recherche personnelle, l’apprentissage de la cogestion, une meilleure approche des techniques Freinet. Cette démarche déborde du cadre figé conduisant les rapports institution/individu et les régule au sein d’un processus global. Cette année, le groupe de parents fonctionne lui aussi en groupe de travail répartissant les fonctions entre les anciens et les nouveaux participants, entre les responsables et leurs futurs remplaçants. Le congrès leur a demandé de travailler sur :

  • la notion de garant pédagogique et de parrainage parental.
  • le financement le plus autogéré possible et la prise en charge maximum de la gestion quotidienne.
  • la confrontation de méthodes pédagogiques pouvant entrer en opposition : celles pratiquées par la famille ou l’école.

Vers la communauté d’apprenants

Même si cela demande du temps et de la patience, l’ensemble de la communauté éducative (parents, éducateurs, enfants) s’y est attelée. Sollicités par les enfants (animation et participation à des projets culturels), formés par les professionnels (conduite du groupe, élaboration d’objectifs pédagogiques), parrainés par les anciens (commission de travail spécifique), les parents s’entre-apprennent. Et pour la première fois de son histoire Bonaventure est portée essentiellement par le groupe des enfants et des éducateurs. Les parents observent, s’imprègnent de la mémoire collective, découvrent l’autogestion par l’intermédiaire de leurs enfants.

En règle générale les nouvelles familles demandent à travailler avec les enfants (animation, participation à des classes transplantées). Si une réflexion collective entre équipe pédagogique et groupe parental n’émerge pas de cette collaboration, la coupure enfant/école/famille sera simplement masquée et non transformée. Les rapports interpersonnels demeureront au stade de la convivialité et ne se transformeront pas en relation de travail. C’est pourquoi une collaboration s’instaure entre les professionnels (les garants du projet pédagogique) et les parents — animateurs ponctuels. Ces actions sont structurées et évaluées au même titre que n’importe quel projet éducatif. Elles sont datées pour éviter une fusion des groupes et une confusion des statuts. Parallèlement à ces coopérations, les nouveaux venus prennent en charge un secteur associatif.

En ne hiérarchisant pas les fonctions, en conjuguant participation et formation, en structurant les espaces et les responsabilités, nous pouvons dire que Bonaventure tend à la création d’un véritable centre éducatif autogéré. En notifiant les attentes, en élaborant des projets de coéducation, Bonaventure devient une communauté d’apprenants.

Pour Bonaventure, Thyde Rosell


[1Extrait d’un audit fait en mars 1997 par Michel Negrell, membre de la commission Regard Extérieur.

[2Bonaventure réunit l’ensemble de ses membres : enfants, éducateurs, familles, adhérents pour traiter des grandes lignes du fonctionnement institutionnel, des projets politiques, culturels et sociaux. Cette instance collective contrôle les actions en cours et détermine la stratégie future.

[3Chaque nouvel arrivant est parrainé par un pair (enfant, professionnel ou parent). Cela lui permet une meilleur compréhension du fonctionnement. Ce parrainage dure le temps de la période d’essai de la personne.