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Quoi de neuf à Pleine-Fougères, Monsieur le juge ?

Le jeudi 19 mars 1998.

Souvenez-vous, durant les mois d’octobre et de novembre 1997, toute la presse parlait de l’affaire Caroline Dickinson, cette jeune fille assassinée dans la nuit du 17 au 18 juillet 1996. Ce crime odieux avait à juste titre soulevé l’indignation et l’émotion de la population. Malgré les moyens mis en œuvre, l’enquête piétinait et le ou les coupables restent introuvables. La population grogne, la presse anglaise s’indigne de l’incapacité de la gendarmerie, tout le monde s’énerve.

Le juge d’instruction chargé de l’affaire est alors renvoyé dans ses foyers et Van Ruymbeke se charge du dossier.

Une panoplie de moyens inédite en France

Celui-ci décide d’employer les grands moyens. Tous les hommes de 15 à 60 ans sont convoqués en deux fois pour passer des tests génétiques (voir ML 1097). Sous la pression médiatique, la population a collaboré : seule une personne a refusé de subir ces tests. Journaux, télévisions, radios se sont fait l’écho de cette affaire qui était une première en France.

La FA a été la seule organisation politique à dénoncer ces pratiques liberticides de mise en fiche de toute une population. Et la seule à critiquer un système judiciaire où c’est à l’individu de prouver son innocence alors que jusqu’à maintenant, c’était à la justice d’apporter la preuve de sa culpabilité. Avec ses modestes moyens et malgré le boycott de la presse, la FA a essayé d’attirer l’attention de la population sur le fichage et les dangers pour la liberté individuelle que représentent ces tests.

Van Ruymbeke voulait étendre les tests génétiques à toute la région, il semble pour l’instant renoncer à le faire. Malgré ses certitudes quant à la piste locale, qui cautionnait la tendancieuse mise en pratique des tests à Pleine-Fougères, il est parti à travers les prisons de France et d’Angleterre prélever les empreintes génétiques d’une partie de la population carcérale pour les comparer à celle de l’assassin. Bien sûr, promesse était faite à la population que tous ces tests seraient détruits, mais quelle confiance peut-on avoir en ces belles paroles ? Notamment pour la population carcérale qui a subi le test.

Le juge franchit une étape supplémentaire

Le juge nous ressort aujourd’hui un portrait-robot qui dormait dans un tiroir depuis septembre 1996. Comme dans un scénario bien rodé, ce portrait-robot permet à la presse de relancer la pression médiatique. Celui-ci est largement diffusé dans les journaux français et européens et les appels commencent à affluer de toute l’Europe de l’Ouest. À ce jour, plus de 1 500 personnes ont vu ou connaissent l’assassin mais aucune piste sérieuse n’a permis son arrestation. Surprenant, non ?

L’objet de cet article n’est pas, nous l’avons déjà affirmé, de prendre parti pour le coupable. Par contre, les méthodes employées par la justice nous laissent penser que l’arrestation de l’assassin n’est pas la seule finalité de cette affaire Ce crime a servi à mettre en œuvre toute une série de méthodes jusque-là utilisées avec la plus grande précaution et en toute discrétion.

Tout d’abord les tests génétiques réalisés à grande échelle — une première en France — sur toute une population qui a malheureusement largement coopéré, ensuite l’appel à la délation. Là, on était déjà plus habitué, mais la délation restait un moyen circonstancié et moralement inacceptable. Aujourd’hui, on la fait passer pour un acte de civisme. Enfin un journal anglais (le Sun) offre une prime de 100 000 FF à qui permettra d’arrêter le coupable. L’argent devient le meilleur auxiliaire de la justice pour s’allier les délateurs en puissance.

Le coupable finira sans doute par être repéré, on assistera alors à la chasse à l’homme comme dans les plus mauvais westerns et ceux qui l’auront arrêté passeront pour des héros nationaux. Pauvre justice !

Pour finir certains jurés bretons (de Rennes et de Saint-Malo) l’ont un peu mauvaise quant à la mise en cause de leur collègue qui n’aurait pas, selon la presse, suffisamment creusé la piste du portrait-robot. Ce premier juge avait peut-être un peu plus de déontologie que Van Ruymbeke, avant de jetter en pâture aux loups le reste des libertés individuelles. La méthode Van Ruymbeke n’a toujours pas prouvé son efficacité (quand bien même !) mais a l’avantage de présenter la justice comme ayant besoin de méthodes et d’hommes forts (lui, évidemment !).

Ce n’est décidément pas une version de la justice ou du monde qui nous convient ! D’autant qu’en pleine période électorale on en a soupé des hommes providentiels qui nous rappellent ce qui est bon pour nous !

FFM
groupe La Commune (Rennes)