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Campagne anti-électorale de la Fédération anarchiste

décembre 2006.

Les élections sont généralement considérées comme le moment démocratique par excellence, l’essence même de la participation des citoyens au pouvoir, l’expression de leur souveraineté. Et lorsque la déception face aux partis, sourds aux attentes de la population, fait douter de la pertinence du vote, le sentiment citoyen finit toujours par reprendre le dessus. Nombreux sont en effet ceux qui, lassés des politiques inégalitaires et antisociales constamment mises en œuvre par les gouvernements successifs, n’ont plus l’espoir que le vote pourra amener un quelconque changement. Cependant, rabâché à l’extrême, le discours citoyenniste classique qui souligne l’importance du vote, véritable « devoir civique », conduit invariablement à mener le peuple aux urnes afin qu’il réaffirme sa soumission électorale. Et même ceux qui ont compris l’inefficacité totale du vote se persuadent bien souvent de son importance en évoquant le fait que l’élection constitue le dernier petit pouvoir qui leur reste, ou le fait qu’il s’agit, finalement, d’un droit chèrement conquis qu’il ne faut pas abandonner, sauf à faire le jeu des extrémistes qui ne manqueront pas, eux, d’en user.

Histoire d’une usurpation

Mais le mythe du droit de vote comme une liberté chèrement conquise au fil des siècles doit être combattu, car en effet la réalité est presque inverse. Certes, l’on est passé d’une monarchie absolue à un système représentatif dans lequel les individus peuvent voter pour désigner leurs dirigeants, mais il est bien difficile de parler de la conquête d’un droit. Tout juste pourrait on parler de la concession progressive d’une bien maigre liberté. Car l’histoire de la constitution de l’État est celle de la confiscation par les dominants de la capacité de s’auto-organiser du peuple. L’histoire de l’humanité est marquée par la volonté de quelques uns de s’imposer sur tous les autres. Parce qu’elle faisait usage de sa force au détriment de tous, une minorité d’individus a gagné du pouvoir à travers les siècles. Qu’était le système féodal si ce n’est le droit du plus fort à commander, sous prétexte qu’il pouvait protéger la population tout autant que la détruire ? Partout, localement, des seigneurs se sont imposés et ont maintenu dans leur dépendance des habitants qui ne demandaient qu’à vivre simplement leur vie et jouir paisiblement de leur travail. Et la construction de l’Etat est le résultat des guerres de conquête qui ont permis à un seigneur devenant roi de monopoliser le pouvoir qu’il confisquait aux autres seigneurs. Des territoires de plus en plus larges ont été ainsi conquis par une même personne, qui a centralisé les capacités de répression et prélevé l’impôt afin de maintenir son armée, destinée à garder le peuple docile et à permettre d’autres conquêtes. C’était l’apparition de la monarchie ou le pouvoir d’un seul. Ainsi, concentrant le pouvoir des seigneurs vaincus, le roi s’est approprié et a unifié la domination de toutes les populations locales. Déjà privés de la possibilité de gérer eux-mêmes leurs affaires, les individus ont alors en outre vu le centre de décision s’éloigner d’eux, au profit d’un souverain qui a légitimé sa domination en affirmant en tenir le droit de Dieu lui-même. Et dans leur volonté de puissance, les rois successifs ont cherché à unifier le territoire, imposer une langue et une culture officielle, la leur, mouvement qui s’est amplifié en France après la révolution de 1789.

Le droit de vote ou le pain et les jeux du cirque

Les révolutions qu’a connues notre pays ont ont eu pour effet de progressivement mettre en place le droit de vote des citoyens, mais cette mise en place est le résultat de l’action des dirigeants eux-mêmes : lorsque la religion a faiblit, que les christianismes se sont multipliés, il devenait trop difficile de justifier la royauté de droit Divin. Il fallait inventer la souveraineté du peuple, artifice consistant à dire que le pouvoir était l’expression de la volonté des citoyens et qu’il n’existait que par eux. Dès lors, il semblait difficile de ne pas permettre à certains citoyens de voter périodiquement pour exercer leur souveraineté. Au fil du temps, les masses devenant de plus en plus instruites, le droit de vote a été élargi, avec parcimonie, et depuis peu (1944 seulement en France), tout homme et toute femme majeur-e peut participer aux consultations organisées par le pouvoir. Mais l’octroi progressif du droit de vote n’a été qu’un moyen pour les gouvernants de domestiquer les foules en cachant l’honteuse appropriation dont leur pouvoir est issu. Totalement illégitime d’un point de vue historique et moral, parce qu’issu de la loi du plus fort, le pouvoir, après s’être auto-légitimé par la religion, s’auto-légitime maintenant par les élections.

Agir au lieu d’élire

Participer aux consultations électorales ne signifie donc en réalité qu’accepter ce système, montrer et renouveler sa croyance en la légitimité d’un pouvoir que jamais nous n’avons mis en place. Car loin d’être l’expression de la volonté populaire, le gouvernement est le résultat de la dépossession du peuple de sa capacité de régler lui-même son existence. Les rois et autres gouvernants successifs ont étendu leur domination à des territoires si vastes qu’il nous paraît aujourd’hui impossible de les gérer autrement que par des représentants ; c’est parce que nous avons oublié qu’avant la monopolisation du pouvoir, c’est localement que les gens s’organisaient, car leur travail, leur voisinage, leur commune constituaient l’essentiel de leur vie, comme c’est finalement toujours le cas pour nous. Désormais, la plupart des gens ne parviennent plus à envisager de se passer de dirigeants ; la complexité et le gigantisme de la société nous dépassent. Mais il ne faut pas s’arrêter à la déresponsabilisation à laquelle mène la représentation : admettre les chefs, c’est accepter la soumission et oublier que personne n’est mieux placé que nous pour gérer notre propre vie. Confier tout pouvoir à des dirigeants pour cinq ans, c’est nous dessaisir de nos affaires, oublier nos responsabilités en mettant notre existence entre les mains d’inconnus qui jamais ne chercheront à nous connaître ni à se préoccuper de nos besoins. Peut-être qu’une nation entière, dans toute son étendue, ne peut être gérée par ces citoyens eux-mêmes ; c’est la raison pour laquelle il nous faut repenser notre organisation et relocaliser les prises de décision. C’est le seul moyen par lequel nous nous réapproprierons notre propre existence, la seule façon de remettre à l’endroit un système qui fonctionne à l’envers, où le peuple « souverain » est dominé, déresponsabilisé et, finalement, oublié par des dirigeants qui, arrivés au pouvoir, n’ont plus en tête que de faire marcher l’économie tout en conservant leur position d’influence. Car qu’ils soient de gauche ou de droite, les partis, parce qu’ils acceptent l’existence du pouvoir, parce qu’ils cherchent à le conquérir et à l’utiliser pour gérer la société, ne font que faire perdurer des structures de domination qui ravalent l’individu au rang d’objet à administrer. Les élections ne serviront jamais à redonner au peuple la capacité de décider. Plutôt qu’élire, il faut donc plus que jamais agir.

Simon — groupe Louise Michel de la FA