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L’Écologie est-elle soluble dans les élections ?

décembre 2006.

Le bilan écologique, tant dans les pays industrialisés, que dans les pays pauvres, s’avère particulièrement mal en point. Il semble y avoir accord unanime sur cette question. C’est la résolution du problème qui soulève des divergences profondes et c’est un euphémisme.L’effet de serre s’affirme de plus en plus, les ressources en eau et en énergies fossiles s’épuisent, la fertilité des sols diminue sous l’effet des produits chimiques… conjugués à cela, s’ajoute l’augmentation de la population mondiale. Il y a comme une impasse !

Le risque de la barbarie

Le capitalisme, système mondialisé, pour pouvoir survivre, se contraint à produire toujours plus.et donc à accroître les problèmes. Ses partisans, les libéraux de tous bords, des plus durs aux plus flexibles, qui ne peuvent se résoudre au partage des richesses, vont pourtant avoir à sortir de ce cul-de-sac. L’innovation technologique est une fuite en avant qui ne pourra au mieux que décaler à brève échéance le problème. La décroissance, c’est-à-dire la réduction de la consommation d’énergies fossiles, d’eau et de matières premières, n’est ainsi pas une question idéologique mais une nécessité. Sur quels facteurs vont-ils agir : imposer des quotas à la population (ex : droit de se chauffer l’hiver a minima) ? Limiter l’accès à l’eau potable ? Souiller des régions entières par des déchets industriels ? Entretenir des foyers de guerre pour limiter le nombre d’individus ? … étant entendu, que les classes dirigeantes ne remettront pas en cause leur propre niveau de vie, car elles, selon leurs critères, elles le méritent ! … Plusieurs scénarios sont possibles qu’on peut réduire à un mot : l’éco-fascisme !

Des atouts de la simplicité volontaire…

Un autre courant de pensée, avec lequel nous avons des affinités, met en avant la simplicité volontaire. Effectivement, les anarchistes ont toujours été sensibles à l’action individuelle. “ La propagande par le fait ” aujourd’hui, c’est, entre autres, consommer différemment. Même si ce n’est pas toujours possible, il s’agit de privilégier l’alimentation biologique et végétale, les producteurs locaux, la circulation en transport en commun ou à vélo, la pratique du compost à partir des déchets alimentaires, ce qui permet d’alléger de 30 % les poubelles des foyers et favorise le tri des autres déchets pour leur recyclage éventuel… Il existe mille et un autres trucs pour réduire son impact écologique. Pour cela, il n’est point besoin d’attendre que la ou le bon-ne candidat-e soit élu-e ! C’est aussi tenir une certaine cohérence avec un discours écologiste. Faire des choix dans sa consommation revient ainsi à pratiquer le boycott, qui, on l’oublie trop souvent, est une arme préconisée par le syndicalisme révolutionnaire, aux côtés du sabotage et surtout de la grève générale. Et selon le principe des petits ruisseaux faisant les grandes rivières, l’accumulation de ces changements individuels, si elle témoigne d’une évolution culturelle de la population, aura un certain poids économique.

… à ses limites

Mais, il ne s’agit pas de se leurrer non plus sur la portée de cet impact, de cet engagement. Les secteurs parmi les plus dévoreurs d’énergie et les plus polluants sont l’agriculture industrielle, le complexe militaro industriel, les transports et chacun d’entre nous est isolé face à cela : que peut-on faire face à la cherté du train par exemple ? Sa gratuité, donc une autre répartition des coûts, implique des décisions collectives, politiques. Que ce soit la question de l’énergie, des pratiques agricoles, c’est bien toute l’organisation sociale qui est à repenser.

Pour cela, faut-il s’emparer des rênes de l’État ? Faut-il siéger au Parlement pour prendre les bonnes lois ? Beaucoup de progressistes y ont cru et y croient encore. L’Histoire de la social-démocratie au pouvoir est pourtant révélatrice : il n’y a pas eu de changements dans les rapports sociaux. Les fameux “ acquis ” ont été conquis de hautes luttes, par la grève et la manifestation, face à des gouvernements de droite ou de gauche, et non concédés par des gentils ministres soucieux des classes populaires.

Ils rêvaient de changer le système, c’est le système qui les a changés

Les écologistes au pouvoir ont fait comme les socialistes : ils rêvaient de changer le système de l’intérieur, c’est le système qui les a changés. Les socialistes de tous pays se sont réconciliés avec l’entreprise, c’est-à-dire avec le capitalisme. Une ministre Verte (Voynet) a pu aller jusqu’à signer un décret d’enfouissement de déchets radioactifs entre autres compromissions. Faut-il s’en étonner ? Pouvait-elle faire autrement ? Certes, la solidarité gouvernementale et donc l’abandon de sa particularité “ écologiste ” faisait loi. Mais, si on se livre à une réflexion sur ce que ce sont réellement les institutions de la démocratie parlementaire bourgeoise, et non sur ce qu’elles prétendent être, on s’aperçoit qu’elles sont au service des intérêts du monde de l’économie : légalisation des extensions d’élevages intensifs pourtant hors normes, budgets de recherche, développement des services publics après guerre quand les entreprises étaient trop faibles pour avoir leurs propres infrastructures, privatisation et bradage des secteurs rentables de ces mêmes services publics maintenant que l’intérêt privé capitaliste dispose des moyens pour prendre le relais… Quand on est au gouvernement ou au Parlement : comment modifier les pratiques agricoles face aux lobbies ? Comment démanteler le complexe militaro industriel ? Comment recollectiviser la gestion de l’eau et des déchets ? Comment revoir la politique des transports face aux pétroliers et aux constructeurs automobiles ? Comment rénover les logements face aux propriétaires privés ? Ainsi, le projet de Loi sur l’eau de la ministre de l’écologie, Dominique Voynet, pourtant ambitieux à son origine, s’est littéralement asséché après le moulinage des lobbies et le recadrage des parlementaires et ministres de l’Écologie successifs.

L’écueil est patent et conforme à la constitution des institutions en milieu capitaliste.

Y croire encore ?

Il se trouve qu’une partie de la gauche de la gauche, écologiste engagée, n’est pas loin de partager cette analyse. Pourtant, cette mouvance s’évertue à vouloir présenter un-e candidat-e, beaucoup sans illusions certes, mais au motif de faire connaître les idées antilibérales et de décroissance en utilisant les outils du système. Or, une campagne électorale, spécialement présidentielle, outre qu’elle sollicite la signature de 500 élus locaux, coûte très cher. Pour espérer rentrer dans ses frais, il importe de recueillir au minimum 5 % des voix. Donc, il faut que les gens qui y croient votent pour ce ou cette candidat-e anti système, en quelque sorte légitiment le système de la délégation de pouvoir sans contrôle et le passage dans les mass-médias officiels comme lieux de débats sincères : soutenir le système alors qu’on est anti-système ? N’est-ce pas un peu schizophrène ? De deux choses, l’une : ou les institutions capitalistes sont vérolées et donc à détruire ou elles sont acceptables ? Soit l’on accepte ses règles et on attend son tour, soit on dénonce sans relâche l’illusion de changer les choses par la voie électorale. Laquelle voie, avec toute l’énergie dépensée à présenter un ou une candidat-e, à être comme les autres, contredit le discours sur l’action directe, extra parlementaire, et risque d’encourager au contraire à l’attente du sauveur, à la résignation et à l’apathie.

Alors, on fait quoi ?

Aussi, le combat à mener est, selon nous, double :

Il s’agit d’abord d’un combat culturel : changer les mentalités et les pratiques par l’exemple et l’information juste, au sein de la population, sans élitisme.

Ensuite, y a-t-il une autre voie que reprendre en main l’économie : c’est-à-dire en finir avec la propriété privée des moyens de production et de distribution ? C’est seulement si l’outil de production est aux mains de la population, s’il est autogéré, débarrassé de la logique de profit, que le circuit économique pourra prendre en compte les facteurs écologistes, être relocalisé, car tel sera l’intérêt des individus. Pour en arriver là, il faut susciter le désir du changement auprès de la classe laborieuse ou qui chôme car elle est la plus nombreuse, en finir avec l’aliénation à la marchandise dernier cri. Seuls, l’action directe des individus (comme le fauchage volontaire de champs d’OGM ou la grève…), leur coordination par le biais du mandatement révocable, le refus des privilèges, l’impossibilité de l’enrichissement personnel par accumulation de biens, sont à même de nous faire sortir de l’impasse écologique et sociale dans laquelle l’État, le capitalisme et la facilité nous ont mis. C’est d’un changement de civilisation dont nous avons besoin, la réappropriation de la chose publique, de la politique par les individus eux-mêmes, c’est-à-dire une nouvelle éthique d’organisation. Le refus de la délégation sans contrôle, sans débats initiaux, donc l’abstention aux élections parlementaires et étatiques sont un pas. Il n’est pas négligeable de priver les acteurs et actrices du système de la légitimité dans laquelle ils/elles se drapent, grâce à nos voix. Et si l’on veut que les individus puissent réellement choisir et agir, l’égalité économique et sociale est incontournable. L’égalité sociale c’est reconnaître à chaque individu, quelque soit son origine ou son sexe, qu’il/elle soit apprenti-e ou ingénieur-e, aide-soignant-e ou chirurgien par exemple, le même droit aux richesses sociales et à la prise de décision pour ce qui les concerne. Il faut briser la hiérarchie du métier, constitutive aussi des classes sociales. Il faut s’affranchir des préjugés de classe et revoir l’éducation, y compris de soi-même, à la responsabilité écologique et sociale. Cela implique la transparence dans les informations, d’avoir du temps pour étudier les problèmes et en discuter. C’est une révolution dans le travail qu’il faut : quoi produire ? Quel impact social (quantité et pénibilité du travail nécessaire…) et écologique il en résulte (ressources consommées, pollution générée…) ? Pour ne pas être refusée massivement et pour espérer réussir, la décroissance ne peut être qu’associée au partage des richesses et des décisions.

Croissez et multipliez ?

Pour 2050, la population est estimée à 9 milliards d’individus ! 50 % de plus qu’aujourd’hui ! La question démographique demeure taboue mais il faudra visiblement rompre avec les politiques pro-natalistes, donc s’affranchir des préjugés religieux et patriotiques. La belle formule de “ la maternité consciente ” revendiquée par les féministes trouve une alliée de choix avec la décroissance. Pour différentes raisons, nous sommes même plusieurs à aller jusqu’à pratiquer l’abstention… d’enfanter, à ne pas confondre avec l’abstinence !

Le pari libertaire

La tâche, pour immense et complexe qu’elle paraisse, est incontournable et incompatible avec simplement un changement de personnel au gouvernement. Mais elle est aussi stimulante. Que les humains soient capables de s’autogouverner, tel est le pari libertaire : un pari sur la responsabilité.
Alors l’écologie est-elle soluble dans les élections ?

Je crois que ce qui précède en a fait le procès. Si l’on veut rompre avec les pratiques actuelles, commençons par ne plus signer de chèque en blanc à un quelconque individu, à lui confier du pouvoir, car il en abusera. Le problème n’est pas que tel ou telle soit aux manettes du char de l’Etat, car c’est d’un véhicule propre, autogéré et pacifique dont l’Humanité a besoin. L’Etat à terre : place à la libre association des individus, des communes et des régions, c’est-à-dire à la liberté ; et, simultanément, place au véritable socialisme, à chacun-e selon ses besoins, c’est-à-dire à l’égalité et à l’entraide. Pourquoi jouer à faire des ronds dans la piscine électorale, alors qu’il y a la mer à côté ?

Stéph@ — groupe Jes Futuro de Lorient