Si pour les médias, le mouvement des chômeurs est né cet hiver-là, c’est qu’avant ils n’avaient pas voulu voir ce qui se passait un peu partout. Des associations de chômeurs, de précaires, d’étudiants et de salariés se sont constituées pour mener campagne et mobiliser contre le chômage. Des marches nationales (1994) ou européennes (1997) ont été organisées. Des actions souvent médiatiques ont été menées : occupations d’ANPE, ASSEDIC, réquisition de bouffe dans les supermarchés, négociation de repas dans les chaînes de restauration, le tout accompagné d’actions auprès d’organismes capables d’expulser des logements, de couper l’eau, le gaz, le téléphone, etc. Cet hiver le mouvement a franchi un niveau dans les revendications d’urgences en posant la question du revenu avec l’augmentation de 1 500 FF des minima sociaux.
Pour AC ! en particulier, à la revendication initiale de l’abolition du chômage par la réduction du temps de travail s’est ajoutée la revendication d’urgence, un revenu égal au SMIC mensuel avec ou sans emploi. Ceci ayant pour but de libérer les victimes directes du chômage de la dépendance permanente des services sociaux. Sur Bordeaux, l’unité existait déjà puisqu’en novembre 1996, l’ASSEDIC de Bordeaux Mériadeck était occupé par AC ! Gironde, l’APEIS et le comité CGT-privés d’emploi. Cette occupation a duré trois semaines avant l’expulsion par les forces de l’ordre. Les associations revendiquaient l’abrogation de la dégressivité de l’allocation chômage. Cette action a été victime médiatiquement du conflit des routiers.
Début décembre 1997, une réunion a lieu sur Bordeaux, pour préparer la semaine d’urgence sociale avec l’APEIS, AC !-Gironde, le MNCP, le comité CGT-privés d’emploi, SUD, DEFI, etc. Un certain nombre d’actions sont prévues même si dès le départ les revendications du comité CGT-privés d’emploi ne sont pas les mêmes, la CGT revendiquant une prime de Noël alors que les associations demandaient l’augmentation des minima sociaux. Par la suite et dans l’action, ces revendications se sont mélangées.
Les occupations se succèdent
Voici la liste non exhaustive des actions menées sur Bordeaux et sa banlieue de décembre 1997 à mars 1998 : occupations d’une agence EDF, de la Caisse d’allocations familiales, du Centre communal d’action sociale, de la Chambre de commerce et d’industrie, d’une ASSEDIC après une action « caddies vides », du siège de la Fédération girondine du Parti socialiste, d’une banque CIC, avec expulsions systématiques.
Des manifestations avec chômeurs et salariés les mardis 7 et 13 janvier 1998, puis les samedis 10 et 17 janvier 1998 jusqu’au samedi 31 janvier où les chômeurs se sont joints à la manifestation de soutien aux sans-papiers. Ces manifestations ont rassemblé jusqu’à 3 000 personnes le samedi.
Février 1998 a vu un tournant pour le mouvement, après la dernière déclaration de Jospin, le comité CGT-privés d’emploi a vu une présence toujours plus forte des responsables de l’UD, qui ont accompagné le mouvement pour finalement le calmer, l’APEIS s’est lancée à fond dans la réalisation des Fonds d’urgence sociale et a calmé sa participation aux actions même s’il y avait soutien. Quant à AC ! Gironde, comme les autres associations, elle a connu un afflux important de nouveaux adhérents et sympathisants. La structure fonctionnait avec une culture plus orale qu’écrite, et les adhésions se faisaient parfois sur des bases plus affectives que sur l’accord avec l’association. De nombreux problèmes de personnes, basés sur la rumeur, ont entraîné de nombreux conflits qui ont fini par faire éclater l’association. En effet, les leaders médiatiques du mouvement n’ont pas eu les responsabilités de présidence de l’association qu’ils espéraient lors de l’élection annuelle du bureau. Ils ont donc créé une autre structure avec quasiment le même nom. Des problèmes similaires sont arrivés, semble-t-il, dans d’autres villes.
Forte mobilisation le 7 mars
Ce que l’on peut constater, c’est que ce mouvement ne pouvait pas s’arrêter de lui-même, les chômeurs ne perdent rien dans l’action. Au contraire, ils y gagnent tout ! Ils gagnent les relations et la chaleur humaines qui leur faisaient défaut, grâce aux réquisitions de bouffe, pendant les occupations, une part de leurs soucis matériels sont collectivisés. Les médias, à défaut des employeurs ou de la société, les reconnaissent, même si dès février ils commençaient à s’intéresser plus aux divisions qu’à la justesse du mouvement. Celui-ci pouvait arriver très fort jusqu’aux élections régionales pour y porter au moins la revendication d’un tarif « social » pour les transports régionaux. Cela n’a pas été le cas et les politiciens de tous bords y avaient intérêt.
Le mouvement s’est centré sur l’organisation de la manifestation du 7 mars. Pour notre région, la manifestation avait lieu à Toulouse. Notre groupe FA a appelé car pour nous, même une semaine avant les élections, il ne doit pas y avoir de trêve dans les luttes. La Fédération anarchiste était présente avec les groupes de Toulouse, de la Creuse, de Carcassonne et de Bordeaux…
Un train de 500 places a été affrété depuis Bordeaux, pour mener tous ceux qui le souhaitaient à Toulouse. Pour appliquer la revendication des transports gratuits pour les chômeurs et précaires, et malgré le nombre de personnes, au lieu de prendre les trains d’assaut à 400, on a préféré négocier un prix avec la SNCF. Une occupation du Conseil régional a eu lieu pour appuyer notre demande (dans l’occupation, le restaurant a été investi à l’heure du repas). Une demande de subvention au Conseil général a abouti. Mais comme c’était insuffisant, un péage a été organisé sur l’autoroute qui a comblé les besoins financiers. Des réquisitions de bouffe ont été organisées pour assurer la nourriture des manifestants dans le train.
En ce mois de mars, la mobilisation continue, même s’il y a moins de monde. Des actions sont menées, comme cette nuit de la solidarité contre les expulsions le 25 mars, comme la dernière occupation d’ASSEDIC par AC ! le 23 mars.
Philippe Arnaud
groupe Emma-Goldman (Bordeaux)