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Clermont-Ferrand

Vivre autrement avec ou sans travail…

ou la dignité retrouvée
Le jeudi 9 avril 1998.

Le bras de fer engagé entre les chômeurs, précaires, place de Jaude, et la municipalité gauche plurielle se poursuit. Aujourd’hui, il est temps d’en tirer un premier constat dans cette lutte pour la reconnaissance de la dignité humaine, ce qui ne semble pas avoir été compris par les valets du patronat et de l’État, toute gauche confondue.

Ce mouvement n’a pas laissé indifférent, les manifestations de janvier et du 7 mars sont encore dans les mémoires ; les 15 000 signatures de soutien aux chômeurs et précaires de la tente puis du chalet, place de Jaude, montrent bien la popularité de cette lutte même si la sympathie ne va pas plus loin ; les actions coup de poing en direction des espaces du pouvoir politique et économique (occupation de l’hôtel de ville de Clermont-Ferrand et de son annexe, le local du PS, des différentes mairies de l’agglomération pour exiger entre autre la gratuité des transports, de la chambre de commerce et de l’industrie, du CNPF, de la DDTE, opération caddie au supermarché Casino, place des salins… la feuille blanche ne serait pas suffisante pour retracer tous les événements de ces deux mois et demi) ont été appréciées à leur juste valeur, solidarité de la part du grand public, agacement voire colère de la part de nos élus de la gauche locale.

Une lutte exemplaire

La tente puis le chalet des chômeurs et précaires ont montré que la misère était à nos portes et qu’au milieu de l’étalement de la richesse et du luxe (admirez le paysage autour de la place de Jaude truffé de banques et de boutiques de luxe), la dignité humaine s’enracine sur une place qui reprend vie et fait de la résistance contre la dictature libérale. Mais celle-ci est devenue de plus en plus revendicative et la gauche plurielle ne pouvait pas l’accepter, car il faut bien rassurer la bonne bourgeoisie et Giscard d’Estaing qui ne peuvent même plus se goinfrer en toute tranquillité (invasion du Crédit lyonnais). Vraiment, les chômeurs et précaires ne respectent plus rien.

La gratuité des transports (bus, SNCF) et des timbres pour envoyer son coupon mensuel à l’ANPE, le relèvement des minima sociaux (toutes catégories d’âge confondues), l’arrêt des coupures EDF-GDF, tout ceci est loin d’avoir été satisfait.

De plus les permanents syndicaux en bleu de chauffe, aujourd’hui en pantoufles, traînent les pieds car l’action directe des chômeurs, précaires, anarchistes, anarcho-syndicalistes et révoltés de tout poil, étiquetés ou pas, fait peur à ces spécialistes de la négociation. Les assemblées générales souveraines, les mandatés révocables, des coordinations qui se mettent en place, c’est beaucoup plus difficile à contrôler. La prime revient à un permanent de la CGT qui a mis son corps en avant pour protéger les portes de Michelin (grand bienfaiteur de l’humanité comme tout le monde le sait) contre l’invasion de cette nouvelle armée qui n’a pas de pays, qui n’a pas de patrie mais un cœur gros comme ça. Au diable les tractations en comité restreint des professionnels de la politique et du syndicalisme réformiste !

Mais ces deux mois et demi de lutte admirable (une présence quotidienne, de jour et de nuit, bravant le froid et la misère effective de quelques paumés) ne doivent pas faire oublier qu’il reste encore beaucoup de chemin pour parvenir à une prise de conscience collective de la nécessité d’une société plus égalitaire basée sur la répartition des richesses.

Créer une solidarité interprofessionnelle réunissant les chômeurs, les précaires, les salariés, les étudiants, les lycéens, les retraités, les français et les immigrés sur le problème de l’exclusion créée par le libéralisme, est l’affaire de tous.

Faire prendre conscience à toutes ces personnes qui mendient que leur survie ne pourra s’obtenir que dans la lutte et de façon collective.

Intégrer les SDF, souvent détruits mentalement, physiquement et socialement, broyés par une société inhumaine.

Expulsion de la place de Jaude

La gauche plurielle n’a vraiment pas beaucoup d’humour. Après avoir coupé l’électricité du chalet, M. Martinet, syndicaliste de couloir (CFDT comme par hasard), conseiller municipal PS, a promis aux chômeurs et précaires de la place de Jaude, un concerto intitulé « Bruits de bottes et répression ». La bourgeoisie locale commençait à s’impatienter. Deux semaines s’étaient écoulées, c’était long l’entracte. Il faut dire que les élections régionales et cantonales avaient occupé son petit monde et freinaient l’expédition punitive. Pourtant, les chômeurs et précaires ont tout fait pour les énerver en organisant une élection parallèle où étaient proposées la dictature libérale ou une société plus égalitaire basée sur la répartition des richesses. Et pour la première fois dans l’histoire anarchiste clermontoise, certains compagnons du groupe Spartacus et d’ailleurs ont déposé leur bulletin dans une urne bien symbolique mais qui pour une fois prenait une valeur fraternelle avec des copains qui mettaient en pratique un certain nombre de nos principes, notamment l’assemblée générale souveraine et révocable, au grand dam des syndicats réformistes (CGT et CFDT confondues, FO brillait par son absence beaucoup plus préoccupée par la création d’une section syndicale à Minute) et des associations de chômeurs tels que Chôm’Actif et le MNCP (actifs devant les caméras et non dans la lutte). Des réunions intersyndicales où la CNT-AIT, entre autres, fut accusée des pires maux, ces mêmes personnes prenaient des décisions sans en référer à la base qui ne se privait pas de les envoyer paître (notamment au sujet de la destruction du chalet). Mais leurs vœux ont été réalisé par le biais de cette gauche plurielle qui a envoyé le lundi 30 mars à 5 h 50 (après le résultat des élections cantonales) deux cents gardes chiourmes. Cette armée du capital, casquée, bottée, interpellant 15 chômeurs et précaires, c’était idylliquement beau pour les potentats locaux qui s’étaient assemblés le samedi 28 pour sauver la République du danger FN. La gauche plurielle n’a pas lésiné sur les moyens : destruction systématique du chalet et de son contenu, désinfection du lieu occupé par les chômeurs et précaires, tout était mis en place pour plaire à ses bienfaiteurs. Les deux cents manifestants ne s’y sont pas trompés, le lendemain soir, en criant gauche plurielle, valet du capital ! Elle ne s’attendait pas à ce sursaut de dignité, la colère s’était portée devant les portes de la mairie. Ces dignitaires ont même pris peur en percevant le bruit des portes fortement secouées. Nos amis les bêtes sont sortis de leur tanière, les protégeant peut-être d’une fin peu glorieuse. La gauche plurielle devrait se replonger dans Germinal et lire attentivement le passage sur la grève des mineurs et le sort réservé aux exploiteurs. Mais leur félonie ne pouvait s’arrêter ainsi. Un cerisier avait été planté sur le lieu de lutte et de vie de plus de 80 jours pour leur rappeler qu’en 1871, il y avait une chanson et qu’ils n’avaient depuis jamais respecté leur serment, la SFIO puis le PS, le PC et bientôt les Verts ont toujours trahi les travailleurs, mais ils oublient une chose, que toutes les avancées sociales ont été obtenues dans la lutte et non dans les urnes. Cet arbre fut arraché le lendemain matin par les employés municipaux. Le mouvement des chômeurs de Clermont-Ferrand est le symbole de ce qui aurait du se passer dans la majorité des villes françaises depuis fin décembre 1997, un mouvement autonome et fier de l’être. La bourgeoisie ne s’y est pas trompée, sa justice a condamné deux copains à trois mois de sursis le mardi 24 mars après une opération caddie, courant février, au supermarché Casino (autre exploiteur de renom). Ce n’est qu’un début, continuons le combat !

Groupe Spartacus (Clermont-Ferrand)