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Faut-il interdire le Front national ?

Le jeudi 16 avril 1998.

C’est à la mode déjà depuis quelques temps. La solution était tellement évidente qu’on se demande bien comment personne n’y avait pensé plutôt. Encore que…

Le Front National gène. Supprimons-le ! L’idée n’est pas si nouvelle que cela en fait.

Quand le Front National sera interdit (s’il est interdit) vivrons-nous dans un monde sans racisme ? Verrons-nous Jean-Pierre Chevènement (« les interventions de petits groupes d’extrême gauche [s’opposant à l’expulsion des sans-papiers] sont souvent instrumentés par des formations étrangères »), Jacques Chirac (le bruit et les odeurs et initiateur en son temps d’une prime de naissance de la mairie de Paris aux parents Français), Laurent Fabius (Le Pen pose les bonnes questions mais apporte les mauvaises réponses), Raymond Barre (la bombe de la rue des rosiers a fait des victimes françaises innocentes), demander pardon ? Pardon de s’être crus obligés de lisser les beaufs racistes dans le sens du poil.

Quand le Front National sera interdit, est-ce que l’on cessera enfin d’entendre nos si charmants voisins, collègues, commerçants de quartiers raconter leurs blagues racistes, sexistes, homophobes ? Cessera-t-on enfin d’entendre dans le bus, dans les lycées, dans les facs, dans les commissariats, les mots bicot, raton, melon, crouille, bougnoule ? Que tous les juifs sont riches, banquiers, travaillent à la télé, se repassent en famille les meilleures places de médecins dans les hôpitaux, qu’ils sont ministres de l’économie parce qu’ils ont ça dans le sang ? Qu’en affaires un Grec vaut deux juifs et qu’un Arménien vaut deux Grecs ? Que les putes de Bangkok sont si peu chère qu’on à l’impression de tirer sa crampe à l’œil et qu’en plus c’est elles qui disent merci ?

Certains journaux, certains politiciens nous répètent, comme pour mieux s’en convaincre eux-mêmes que les électeurs du FN ne sont pas racistes et qu’il ne faut pas les juger. Se foutent-ils de nous ou y croient-ils vraiment ? Ou bien est-ce tout simplement que les petites phrases que je viens d’énumérer ne sont pas vraiment racistes. C’est juste pour rigoler, juste une façon de parler ?

Sans le FN… un monde meilleur ?

Et après l’interdiction du FN, que vont devenir tous ces gens au sens de l’humour si innocent ? Ils vont se taire ? Ils vont s’abstenir de voter ? Ils vont rejoindre des formations politiques plus normales tout en gardant les mêmes idées qui puent ? Ils vont arrêter d’élever des bergers allemands, des beaucerons et dobermans et se mettre au fox-terrier et à l’épagneul bien breton après avoir résilié leur adhésion au club de tir et s’être remis à la chasse, comme tout l’monde ? Quel monde merveilleux ce monde sans FN ! Plus de ratonnades, plus de bavures, plus de viols, plus de main au cul des secrétaires.

Parce que c’est évident, il n’y a pas de sexistes au PS. Personne ne voterait « oui » au rétablissement de la peine de mort dans les rangs du PC. Jamais il ne viendrait à l’idée d’un membre ou d’un électeur de l’UDF de s’aller mettre hors la loi en s’enchaînant aux portes des cliniques pour empêcher les avortements. Jamais un électeur du RPR n’achèterait sur catalogue une femme de Thaïlande ou des Philippines pour l’épouser le plus légalement du monde et en faire son esclave domestique et sexuelle.

Non, la noblesse de notre race n’a que quatre millions de brebis galeuses qui de toute façon sont amendables par simple décret du Conseil des ministres.

Bien sûr, on me dira que mon propos est fallacieux parce que ces partis-ci ne prônent pas ces comportements. La belle affaire ! Le PS semble bien en peine de remettre Pajon sur les rails du sens politique élémentaire. L’UDF peut enfanter des Millon et des Blanc (ou même — sans doute à son corps défendant — prendre des Papon dans ses gouvernements), le RPR ses Mancel, et le service d’ordre du PCF sait rappeler à l’ordre un couple gay qui se tient la main à la fête de l’Huma. Et toutes ces vues de l’esprit sont tellement plus faciles que de s’attaquer un peu, un tout petit peu au fond du problème !

Tolérance zéro

Le FN n’est pas au pouvoir en France, loin s’en faut, mais la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme vient de publier un rapport édifiant sur le racisme à l’embauche en France (Le Monde du vendredi 3 avril 1998).

L’école sait-elle embaucher, par le biais de ses concours si démocratiques, une population issue de l’immigration maghrébine à d’autres fonctions que l’entretien et la cantine ? L’école sait-elle s’adresser aux parents d’élèves dans une autre langue que le Français ? L’école sait-elle écarter les livres de classe sur les images desquels sont exclus les non-blancs, où les femmes jouent les seconds rôles, ou encore ces livres d’anglais où un personnage ou deux portent le type jamaïcain ou pakistanais, mais qui sur la cassette de dialogue ont un accent bien middle-class ?

La Sécurité sociale et les caisses d’Allocations familiales se soucient-elles d’imprimer des brochures en langue étrangère (prévention sida, aide aux femmes battues, information sur la contraception, mode d’emplois des feuilles de soins, etc.) ?

La télévision sait-elle laisser la parole à des Antillais pour autre chose que la météo ? Même un accent régional bien de chez nous est considéré comme difficile à prendre au sérieux, alors, pensez, un noir à la télé interviewant le président de la République !… C’est pas demain la veille. Même avec l’interdiction du FN.

Pour résumer, si l’on réclame tout cela (et ça n’est vraiment pas grand chose) avant l’interdiction du FN, on nous répond, comme Chevènement, que nous sommes irresponsables, que nous agitons des chiffons rouges et faisons le lit du FN.

Si l’on attend que le FN soit interdit pour réclamer tout ça, on nous dira que nous voulons réveiller de vieux démons. On n’aura rien gagné, pas avancé d’un pouce et surtout pas fait évoluer les mentalités.

C’est en étant pro-actif plutôt que réactifs que nous ferons bouger les choses. Encore et toujours, nous occuper de nos affaires et nous prendre en main nous-mêmes. Une tolérance zéro pour les comportements racistes dont nous sommes les témoins.

Ne plus baisser le nez dans ses dossiers quand les collègues rotent leurs blagues débiles. Ne pas poursuivre l’apéro plus longtemps quand les nouveaux voisins la bouche pleine de cacahuètes vous demandent s’il n’y a pas trop de Gris dans le quartier.

Porter plainte (pourquoi pas) contre la direction d’un journal ou d’une agence pour l’emploi chaque fois que sont publiées des offres d’emplois sexistes ou racistes. Ne rien laisser passer, jamais, nulle part. Une vigilance de chaque instant et dans toutes les circonstances.

Zéro tolérance. C’est la seule campagne qu’il soit utile de mener.

Andi B.