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Rwanda

génocide en Françafrique
Le jeudi 16 avril 1998.

Le 3 mars dernier est née une mission parlementaire d’information chargée de faire la lumière sur le rôle de l’État français et des autres puissances dans le génocide rwandais de 1984. Certes, ce n’est pas une commission d’enquête, mais ne boudons pas notre plaisir, car déjà, les affirmations de certains membres de cette commission ont de quoi faire sourire : tel Baumel (RPR) qui entend faire de cette commission un rempart face la propagande anglo-saxonne antifrançaise ou l’ardeur de Quilès qui entend mettre sur le même plan le rôle de la France, de l’ONU et des autres puissances (notamment les États-Unis), histoire de ménager la mémoire de Mitterrand.

Complicité de génocide

Car l’État français est coupable. Pour ceux qui suivent de près l’actualité africaine, cela ne fait aucun doute.

L’État français est coupable d’avoir soutenu jusqu’au dernier moment un pouvoir dictatorial, corrompu et raciste. Il lui a sauvé la mise dès la première offensive du Front Patriotique Rwandais (1990), participant également à des actions de contrôle des population, ce qui équivalait, à l’époque, à livrer à l’abattoir des Tutsis.

L’État français est coupable, car il savait pertinemment qu’au sein de l’élite dirigeante rwandaise, l’aile dure préparait un plan de liquidation massive des Tutsis et des Hutus modérés pour empêcher que les accords d’Arusha (1990) entre le pouvoir et le FPR ne favorisent une « démocratisation » du régime.

L’État français est coupable car jusqu’au bout (mai-juin 1994), il a livré des armes et de la logistique aux Forces Armées Rwandaises, celles-là même qui encadraient les bandes de massacreurs.

L’État français est coupable d’avoir, sous couvert d’aide humanitaire, permis à ses alliés génocideurs de se réfugier au Zaïre et d’y trouver des bases arrières nécessaires à des contre-offensives d’envergure (en profitant des réseaux français pour l’achat de matériel militaire).

L’État français est coupable d’avoir succombé au « syndrome Fachoda », en clair d’avoir fait la guerre aux Anglo-saxons (les Tutsis du FPR venant de l’Ouganda anglo-saxon) par Hutu Power (les « génocideurs ») interposé.

L’État français est coupable d’accorder l’asile aux principaux dirigeants du Hutu Power (d’Agathe Habyarimana, femme du dictateur décédé à l’idéologue Fernand Nahlmana, spécialiste de l’appel au meurtre sur les antennes de la Radio Mille Collines) responsables de la liquidation d’un million de personnes.

L’État français est coupable d’avoir fait obstacle à la reconnaissance du génocide par le Conseil de sécurité de l’ONU et d’y avoir défendu la thèse intenable du double génocide. Dans le même ordre d’idée, l’État français a usé de toute son influence pour empêcher l’octroi d’aides d’urgence au nouveau régime rwandais.

L’État français est peut-être même coupable d’avoir liquidé le président Habyarimana en faisant sauter son avion peu avant son atterrissage a Kigali puisque, selon certaines sources, le missile utilisé à cette occasion aurait été récupéré par l’armée française lors du conflit du Golfe.

Cette liste ne prétend pas à l’exhaustivité. Elle montre juste a quel point les hautes sphères d’alors (Mitterrand à la présidence, la droite au gouvernement) ont bel et bien appuyé la logique génocidaire à l’œuvre pour les beaux yeux de la Françafrique et de la francophonie.

Défendre la Françafrique…

Définir la Françafrique est compliqué et simple à la fois : compliqué parce qu’elle se compose de multiples réseaux politiques, financiers, économiques, militaires… réseaux se chamaillant à la moindre occasion ; simple car tout ce beau monde ne forme en réalité qu’une impressionnante mafia faisant son beurre avec le commerce « ordinaire » (pétrole, matières premières…) et les trafics les plus juteux (trafic de drogue et de pierres précieuses, blanchiment d’argent sale).

Évidemment ces réseaux/clans ont une sainte horreur de tout ce qui pourrait entamer leurs rentes financières. Lobbyistes chevronnés, ils mettent immédiatement la pression sur les gouvernements pour influer sur leurs décisions, quand, bien sûr, ce ne sont pas leurs hommes qui occupent les fauteuils des ministères.

L’armée française également peut faire valoir sa différence en Afrique, seul endroit où elle peut encore rayonner, faire et défaire les pouvoirs en place. Dans le cas du Rwanda, il est avéré que ce sont les militaires qui se sont imposés comme les maîtres de l’information en direction de l’Élysée, diabolisant le FPR (les « khmers noirs ») et faisant des États-Unis via l’Ouganda les véritables fauteurs de guerre.

Mais depuis des années, l’Afrique est entrée dans une phase de mutation accélérée : émergence de puissances régionales (Afrique du Sud, Ghana, Ouganda, Nigéria), liquidation de régimes anciens (Guinée, Éthiopie, Zaïre), généralisation de conflits politico-mafieux (Sierra Leone, Liberia, Tchad). Face à cela, la riposte de l’État français à été de deux ordres. Soutien verbal à un relookage démocratique (le fameux discours de La Baule de Mitterrand) mais défense dans les faits de régimes délégitimés. Les exemples sont nombreux, de l’organisation complète d’un scrutin truqué pour le compte d’Idriss Déby (Tchad) à la remise en selle d’un Mobutu agonisant dans un Zaïre à la dérive. Mais voilà…

… contre l’Anglo-saxon !

Il était un temps où la France pouvait régner sur son pré-carré sans grand problème. Mais régner, s’attacher des clientèles coûte cher et la crise économique a poussé l’État français à se désengager financièrement. Parallèlement, certains pays africains anglophones sont apparus dans cette période comme politiquement plus stables, économiquement plus sains (selon les critères du FMI) et aguerris à la « guerre économique ». Pour les entreprises françaises vivant de leurs rentes africaines, il y avait là un risque important de perte de marchés.

La perte du Rwanda est apparu dès lors comme politiquement symbolique de cette érosion du pré-carré, preuve de l’incapacité de la France de protéger ses États-clients. Après le Rwanda, c’est le Zaïre de Mobutu qui est tombé. Et même si l’État français a colmaté les brèches au Congo, les perspectives ne sont guère rassurantes pour les défenseurs de l’Empire !

En fait, pour certains analystes, l’État français est en panne de politique africaine. Il navigue à vue « sans vision ni anticipation, enracinée dans l’habitude où plutôt la routine, [recourant] sans talent aux vieilles recettes éprouvées » (Jean-François Médard). Jean-François Bayart y ajoute une dimension essentielle, celle de la vision qu’ont les élites françaises des Africains, une vision culturaliste (voire raciste) selon laquelle tout conflit sur le continent noir est un conflit tribal (et non un conflit politique dans lequel les acteurs instrumentalisent à leur profit les référents ethniques).

Patsy
Cercle Bakounine