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L’Immigré

Le jeudi 16 avril 1998.

Lorsque j’entends parler, autour de moi, des immigrés, il m’arrive parfois de rester perplexe sur le devenir de la classe ouvrière ou pour mieux dire maintenant des employés et des salariés. Après s’être laissée endormir, bernée par le Capital et son bras droit qu’est le patronat, elle s’aperçoit que ses desiderata ne sont plus en phase avec ce que lui proposent ses patrons. De là, un sentiment de frustration qui se répercute sur le bouc émissaire aisé à trouver. L’immigré. Cet envahisseur, ce personnage socialement inadapté et inadaptable, celui qui nous dépouille de notre sacro-saint travail et par là même de nos richesses.

En essayant de comprendre ce sentiment, je me suis aperçu qu’il n’y a pas si longtemps le beau pays de France avait été heureux d’accueillir puis de recruter et exploiter cet être suspect.

Remontons quelques années en arrière. Entre 1939 et 1945, des bataillons de soldats étrangers sont entrés sur le territoire national pour combattre le fascisme et libérer le peuple français de ce joug. Pour exemple :

  • août 1944, libération de Paris par la 2e DB bien sûr mais également par la 9e compagnie composée de républicains espagnols ;
  • à Toulon ce sont les Nord-africains qui libèrent la ville ;
  • à Nîmes, les antifascistes allemands entrent les premiers dans la ville.

S’est-on demandé, à l’époque, si ces individus avaient leur carte de séjour ?

Afin d’éviter d’être débordé, est créé en 1945 l’ONI (Office national de l’immigration) qui a pour tâche de recenser les entrées et sorties des travailleurs immigrés.

Durant les « Trente glorieuses », les grandes entreprises recrutent de la main-d’œuvre principalement nord-africaine. Cette main-d’œuvre pas ou peu qualifiée a un coût moindre et réjouit les patrons. Il suffit d’écouter M. Bouygues : « Ils viennent pour travailler et coûtent 25 % à 30 % de moins qu’un ouvrier français. Qualité qui a toute ma sympathie. »

Les nationaux n’acceptent pas les conditions de travail, les rémunérations et dès qu’ils en ont la possibilité fuient vers des travaux moins pénibles. Étant au bas de la grille hiérarchique, les immigrés ont permis aux nationaux d’atteindre des emplois de qualification plus élevée.

Après 1970, c’est la récession, la « crise ». Ce ralentissement économique a deux conséquences :

  • les promotions sont bloquées pour tout le monde ;
  • proportionnellement, les immigrés sont plus touchés que les nationaux. En étant les premiers licenciés, ils servent donc de flexibilité à la baisse. Mais on entend alors cette fâcheuse expression populaire : « Y en a trop, ils coûtent cher à la sécu ».

Le phénomène « immigré » a été savamment exploité par Le Pen. Son discours démagogique, repris plus ou moins par l’ensemble de la classe politique avec les actes attestant la véracité de ses propos (entre autres les charters) a su berner un grand nombre de nos concitoyens et les détourner de la vraie cause de nos malheurs : le capitalisme avec son cortège de flexibilité, de précarité, de compétitivité.

Pour finir, quelques points qui me semblent importants :

  • la Terre est à tout le monde ;
  • les immigrés ont des emplois complémentaires rarement concurrents tant en période d’expansion que de crise ;
  • près d’un tiers de la population française actuelle possède au moins un ascendant étranger en remontant à quatre générations ;
  • s’il faut en croire l’INSEE, le revenu moyen d’un ménage français est de 14 % supérieur à celui d’un étranger (147 000 FF contre 129 000 FF) ;
  • les prestations familiales sont calculées de la même façon pour tous. Si les foyers immigrés touchent davantage, c’est qu’ils ont un nombre supérieur d’enfants et des revenus plus modestes.
  • les immigrés font tourner la machine économique autant que les Français puisque les taux d’endettement sont les mêmes tant en matière d’équipement, alimentaire et logement ;
  • les dépenses de santé sont inférieures chez les étrangers. En nombre moyen de consultations chez le médecin, on remarque 6,4 pour l’immigré contre 6,6 pour le Français ;
  • le monde laborieux, leurré par l’illusion d’appartenir à la bourgeoisie, reste et restera le jouet du capital tant qu’il n’aura pas repris conscience de sa classe, subira la démagogie des tribuns avides de pouvoir tant qu’il ne fera pas corps avec les autres exploités de son lieu de travail, de sa région, de son pays ;
  • un salarié de quelque couleur qu’il soit est, comme tout un chacun, une source de profit que les patrons exploitent.

René
groupe Henry-Poulaille