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Debré-Chevènement

Mêmes lois, même combat !

Le jeudi 16 avril 1998.

Le Havre, Ivry, Créteil, Nanterre, Bobigny… la liste des lieux occupés par les sans-papiers s’allonge. Plus la date du 30 avril approche et plus la tension monte autour des sans-papiers. Et le pouvoir n’y est pas pour rien, lui qui tente par tous les moyens de discréditer ce mouvement et ceux qui le soutiennent. Au 31 mars, le ministère affirmait avoir fourni 40 000 titres de séjour et plus de 30 000 refus sur les 150 000 demandes de régularisation déposées dans les préfectures. À quinze jours de la clôture prévue du traitement des dossiers, il est de plus en plus clair que les choses n’évolueront plus beaucoup.

10 mois de tartuferie ministérielle et de réticences administratives

Dès l’annonce de la circulaire Chevènement du 24 juin 1997, nous avions dénoncé dans ces colonnes les graves insuffisances d’un texte qui était censé régulariser des sans-papiers tout en étant strictement inscrit dans le cadre de la loi de l’époque (Pasqua-Debré) : critères de régularisation restrictifs, contradictoires et ubuesques ; discrimination des célibataires et des déboutés du droit d’asile ; arbitraire administratif… Il nous apparaissait clairement à l’époque que cette annonce pour le moins spectaculaire ne préparait que « quelques régularisations et beaucoup d’expulsions », comme nous avions titré alors. Il était évident que la gauche ne pourrait pas tenir éternellement deux discours incompatibles : « l’humanisme » et le contrôle « responsable » des flux migratoires.

Aujourd’hui les masques tombent. Les administrations en charge de la régularisation ne laissent guère d’illusions aux sans-papiers : « certains continuent à être convoqués plusieurs fois, d’autres qui sont toujours sous le régime de multiples convocations, sont même envoyés au bureau 105 [de la préfecture] qui s’occupe des mesures d’éloignement » rapporte le comité des sans-papiers de Lille qui poursuit : « Nous tenons à dénoncer le fait que certains dont les dossiers ne posent aucun problème, même au vu de la lecture de la circulaire, lecture pourtant restrictive, sont sous le régime de convocations multiples, comme si M. le préfet, en conformité avec la tactique gouvernementale des quotas préfectoraux et "ethniques", attendait le 30 avril pour présenter un nombre important de régularisation à opposer à un nombre important de refus. Ainsi la règle arbitraire des quotas (50 % — 50 %) que le ministère de l’Intérieur annonce périodiquement dans les journaux est la politique décidée par Jospin-Chevènement. […] Au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’échéance du 30 avril, le gouvernement après s’être engagé à réparer les injustices causées aux sans-papiers, se dénie en poursuivant une politique de fabrication de nouveaux sans-papiers avec l’amendement 21 et tente d’acheter à 4 500 FF l’expulsion de ceux-ci. »

D’inacceptables provocations

Les provocations gouvernementales se poursuivent. Le weekend du 29 mars, des passagers d’un vol Air France s’étaient opposés à l’expulsion de seize sans-papiers, tandis que des manifestants dans l’aéroport protestaient contre ces expulsions de personnes menottées et scotchées, méthodes qui ne diffèrent en aucun point de celles employées par les illustres prédécesseurs de Chevènement. Mais ce dernier a innové dans la démagogie, le caporalisme et la répression. Tous les manifestants, passagers compris, furent arrêtés dans le cadre du plan Vigipirate pour trouble à l’ordre public. Chevènement, dans une superbe envolée pasquaïenne fustigea alors ces « fauteurs de troubles [à] l’incivisme fondamental », dénonçant « une organisation trotskiste d’origine britannique » et « un certain nombre de passagers qui se sont interposés et qui ont empêché le décollage de l’appareil ». Et le sinistre Fouquier-Tinville d’annoncer qu’il va, grâce aux accords de Schengen, faire interdire de séjour en France les opposants aux expulsions ! Une telle provocation aurait dû entraîner une levée de bouclier à gauche : pourquoi ce qui était digne, humain et responsable contre les méthodes Pasqua et Debré — la désobéissance civile — serait-il aujourd’hui selon Chevènement une contribution « à bafouer les lois, à la perte des repères dont la République à besoin pour faire front contre l’extrême droite » ? Au moment même où un Papon se faisait condamner par la « justice de la République » pour avoir appliqué sans sourciller des ordres et des lois scélérates !

Certes, les réactions commencent à se multiplier : syndicalistes des aéroports, cinéastes relançant une troisième pétition, syndicats, associations sur les aéroports. La contestation s’est à nouveau levée au sujet de la nouvelle mouture de l’article 21 de l’ordonnance de 1945 dans la loi Chevènement qui renforce le délit de solidarité en se proposant de faire dresser une liste d’associations « à but humanitaire » autorisées par le ministère de l’Intérieur, à l’exclusion de toute autre personne ou mouvement, à aider les sans-papiers (et nous espérons bien ne jamais faire partie d’une liste aussi infamante !).

Il y a de quoi être à bout de patience : voilà un gouvernement et en particulier un ministre qui depuis des mois multiplie les provocations démagogiques, bras grands ouvert aux idées d’exclusion, renforçant le racisme institutionnel et législatif, multipliant les références à la nation qu’il faudrait défendre, jouant en permanence sur les amalgames entre chômage et immigration (voir certaines déclarations de Chevènement concernant le trou de la sécu que creuserait une régularisation massive…). Tous ces gens qui se réclament de la gauche plurielle ou de la « gauche de la gauche », ces politiques qui participent au gouvernement ou à la majorité auraient dû se lever avec un seul mot d’ordre : « Chevènement démission ! » Et qu’en est-il ? Des paroles, des cris d’indignation, quelques actes de résistance contredits par la volonté indéboulonnable de conserver quelque strapontin ministériel ou parlementaire ! « Nous ne quitterons jamais le gouvernement » (Alain Bocquet, député du Nord, leader du groupe communiste à l’Assemblée) ; « Un ministre [Voynet…], ça l’ouvre mais ça reste » (Noël Mamère, député Vert)… Minable.

Et après ? Le 30 avril est un cap, mais ce n’est qu’un cap. Cette tension qui monte chez les sans-papiers va se poursuivre. D’autres collectifs vont sans doute débuter de nouvelles occupations [1]. Le 30 avril, la coordination nationale des sans-papiers appelle à des manifestations dans toute la France pour « l’enterrement de la circulaire Chevènement » de sinistre mémoire. Suivra le Premier mai, où l’on espère sans-papiers, chômeurs et salariés se retrouveront. Le 16 mai est la date fixée d’une manifestation nationale des sans-papiers à Paris qui doit être la plus massive possible. Le boulet de Chevènement et Jospin qu’est la permanence de sans-papiers organisés, de chômeurs et de mouvements qui les soutiennent n’est pas prêt de disparaître ! Il leur aurait pourtant été si simple de régulariser…

Bertrand Dekoninck
groupe Humeurs noires (Lille)


[1Occupation d’églises appartenant à l’Église pour les premières d’entre elles, pour des raisons de sécurité des personnes, raisons sans doute compréhensibles au regard de la répression féroce exercée par Chevènement (115 arrestations lors d’actions à Paris il y a trois semaines…).