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Sans-papiers

Régularisation pour tous !

Le jeudi 23 avril 1998.

À l’approche de la date fatidique du 30 avril, les sans-papiers ont multiplié les actions pour attirer l’attention de l’opinion publique sur leur situation. Le coup d’envoi avait été donné par les sans-papiers de Lille qui, dans l’indifférence médiatique quasi-générale, avaient entamé une grève de la faim entre le 17 novembre 1997 et le 23 janvier 1998. Il faut attendre le 7 mars pour que les sans-papiers de l’Essonne occupent la cathédrale d’Evry (91). Dès lors, les occupations vont se succéder à un rythme soutenu et d’autres sont à prévoir dans les prochains jours : le 14 mars, église Saint-Pierre au Havre ; le 23 mars, cathédrale de Créteil (94) ; le 29 mars, église Saint-Paul à Nanterre (92) ; le 5 avril, église Saint-André à Bobigny (93) ; le 11 avril, centre paroissial d’Argenteuil (95).

Il faut noter que seule cette dernière est une véritable occupation dans la mesure ou les sans-papiers n’ont pas demandé l’autorisation des autorités ecclésiastiques. Dans tous les autres cas, il s’est agi d’installations négociées, c’est-à-dire avec l’autorisation — s’agissant de bâtiments construits après 1905 — des propriétaires des locaux qui ont fixé le nombre des sans-papiers autorisés à y séjourner ainsi que les lieux mêmes du séjour. Les sans-papiers se trouvent donc confinés dans des endroits peu propices à la communication. Ce choix s’explique peut-être par l’échec de deux occupations d’églises parisiennes — construites avant 1905 et donc propriété de la ville — le 15 mars dans le 13e arrondissement de Paris, le 18 mars dans le 18e dont les occupants furent délogés très rapidement. Ces deux opérations, qui se sont soldées par la mise en centres de rétention d’une centaine de personnes, ont divisé les sans-papiers et ont été condamnées par la plupart des soutiens, notamment les institutionnels. Il faut noter au passage la charité toute chrétienne du curé de l’église Notre-Dame de la Gare (Paris 13e) qui a commencé — pour l’hygiène — par condamner les toilettes, puis coupa le chauffage et l’électricité — par économie — et, enfin remit les clés du lieu aux forces de l’ordre, par esprit de collaboration !

Il n’empêche que c’est à partir de ces arrestations et des décisions d’expulsions qui s’ensuivirent qu’a démarré un vaste mouvement de solidarité qui a vu des individus intervenir à l’aéroport de Roissy auprès de passagers, pour empêcher — souvent avec succès — le départ de sans-papiers.

Debré l’a rêvé, Chevènement l’a fait

Mais, comme on devait s’y attendre, malgré toutes ces actions et le dernier baroud d’honneur devant la chambre des députés, le 8 avril, le projet de loi Chevènement était adopté le même jour par les députés. Cinq des six députés Verts et un communiste ont voté contre et les communistes se sont abstenus, le motif souvent invoqué étant qu’en votant contre, leurs voix auraient été mêlées à celles de la droite. Langue de bois — d’ébène en l’occurrence — pas morte !

Pour sacrifier à une mode qui fait fureur dans le genre « politiquement correct », cette loi a été baptisée « RESEDA » (loi Relative à l’Entrée et au Séjour des Étrangers et au Droit d’Asile). Le dictionnaire Robert indique qu’une variété de réséda, dit réséda des teinturiers fournissait une teinture jaune et était également appelée « herbe aux juifs ». À quand l’étoile couleur réséda pour les sans-papiers ?

La nouvelle loi introduit un « délit de solidarité » envers les individus qui aideront des étrangers en « situation irrégulière ». Seront également passibles des tribunaux toutes les organisations qui soutiendront les sans-papiers. Ce sera le cas des syndicats, des associations et… des collectifs de sans-papiers ! Le ministre prévoit toutefois un espace de liberté… surveillée, puisque certaines associations dont les statuts prévoient explicitement l’aide aux étrangers pourront continuer leur travail, à condition d’avoir été habilitées par… Le ministère de l’Intérieur ! Vive la collaboration !

Et maintenant

Au lendemain du 30 avril quelle sera la situation ? Sur le chiffre communément admis de 150 000 demandeurs les derniers résultats communiqués par l’administration sont les suivants : 32 344 admissions au séjour dont 28 920 temporaires (vignette d’un an). À ce sujet, il faut rappeler la discrimination dont ont fait l’objet les femmes qui, bien qu’ayant obtenu un titre de régularisation, n’ont, pour la plupart, pas obtenu le droit à travailler ; 15 495 récépissés favorables pouvant déboucher sur un titre de séjour sous réserve d’informations complémentaires à fournir avant le 30 avril ; 30 053 demandeurs ont été déboutés. À ce jour, des milliers n’ont encore reçu aucune réponse de l’administration préfectorale. Ces chiffres laissent supposer que c’est entre 80 000 et 90 000 demandeurs qui, au total, seront déboutés. Le délai supplémentaire d’un mois ne changera rien à l’affaire.

Hors des églises

Ce n’est certainement pas en restant cloîtrés dans les églises que les sans-papiers défendront leur cause, d’autant que la hiérarchie catholique voit dans ce mouvement, tout comme le ministre de l’Intérieur, une manipulation par des groupes d’extrême gauche et un piège dans lequel tombent des chrétiens naïfs faisant ainsi le jeu de l’extrême droite (propos de l’évêque de Saint-Denis. Libération 13 avril). L’Église a clairement fait savoir qu’elle ne soutenait pas la revendication de papiers pour tous, mais qu’elle était pour une « régularisation la plus large possible », ce qui, à l’évidence, ne l’engage en rien.

Ce ne sont pas non plus les pitreries des parrainages républicains qui amèneront quelque chose. Des compagnons présents au grand bazar médiatique, organisé le 11 avril à Saint-Denis par le maire Braouezec et une vingtaine de cinéastes, ont relaté que le jeu consistait à créer des couples de « parrains » (un cinéaste médiatisé plus un quidam) ; puisque le cinéaste est, par définition, très occupé, c’est le quidam qui le remplacera… ! Une compagne s’étant rendue à l’église occupée de Bobigny pour demander à des asiatiques de s’exprimer sur Radio libertaire a été accusée par un responsable de la CGT (cornac officiel de la communauté asiatique du 93) de lui voler ses sans-papiers ! Il lui a toutefois proposé, comme s’il s’agissait d’une marchandise, d’autres personnes, parlant français, et, sans doute, dûment estampillées CGT ! Ailleurs, c’est une mystérieuse « organisation politique » (peut-être des nostalgiques du maoïsme) qui tente de faire marcher au pas ses « ouvriers sans-papiers ».

Le 1er Mai verra les sans-papiers rejoindre, nombreux, les cortèges syndicaux. Une manifestation nationale des sans-papiers est aussi prévue pour le 16 mai. Espérons qu’elle sera l’occasion de briser le silence des consciences, des belles consciences, celles-là même qui vitupéraient, il n’y a pas si longtemps, la droite régnante et son inhumanité et avaient réussi à attirer une centaine de milliers de personnes dans les rues de Paris contre Debré et sa loi… !

Ce n’est que lorsque les sans-papiers décideront eux-mêmes des formes et des moyens de leur lutte qu’ils auront une chance de faire aboutir leurs revendications. Ils pourront alors demander l’aide désintéressée de leurs soutiens et, ainsi, compter leurs vrais amis ! Il est difficile, surtout pour ceux qui vivent dans les foyers, de se libérer des contraintes liées à leur mode de vie (dépendance vis-à-vis des « chefs ») et d’envisager de désigner des délégués, dûment mandatés, et… révocables. Dans certains collectifs, la pratique des assemblées générales semble favoriser, sous l’influence d’individus émancipateurs, la timide émergence d’une auto-organisation.

L’obtention de la vignette d’un an suppose d’avoir satisfait à une visite médicale obligatoire organisée par l’OMI (Office des Migrations Internationales) qui est facturée 1 050 FF pour un célibataire (forfait de 1 750 FF pour une famille) En 1995, 76 663 examens ont été pratiqués par l’OMI (le coût individuel était alors de 960 FF) La cour des comptes estimait, en 1993, ce coût — charges de structure comprises — à 430 FF. La visite a notamment pour but de s’assurer que la personne n’est pas atteinte de tuberculose, qu’elle n’est pas toxicomane ou ne présente pas de troubles mentaux « de nature à compromettre l’ordre ou la sûreté des personnes. »

Jacques
groupe Étoile Noire (94)